Barnett Newman

«Dans les titres, je tente d’évoquer l’état émotionnel qui me dominait.»

- Barnett Newman

Parce qu’il devient un artiste durant la crise morale qui, en Amérique et ailleurs, baigne l’après-guerre, Barnett Newman croit en la nécessité d’un art entièrement nouveau. Après des études à la Arts Students League de New York en 1922 et de nouveau en 1929, Newman détruit la plus grande partie de ses œuvres et cesse de peindre en 1939-1940. Il pense que l’art occidental - égaré dans une quête de beauté et de perfection formelle - a perdu contact avec « le désir naturel de l’exaltation chez l’être humain, un intérêt pour notre rapport aux émotions absolues. » Newman croit qu’un art du sublime est à la fois nécessaire et possible à son époque, mais que, pour y parvenir, les artistes doivent se libérer du passé et peindre comme si la peinture n’avait jamais existé. « Au lieu d’élever des cathédrales au Christ, à l’Homme ou à la " vie ", écrit-il, nous les réaliserons à partir de nous-mêmes, à partir de nos propres sentiments.»

La réponse artistique de Newman au projet révolutionnaire qu’il conçoit se trouve dans The Plasmic Image, une série d’essais dans lesquels il débat du sujet de la nouvelle peinture abstraite.

Trois idées fondamentales façonnent ses pensées et son travail. La première, dérivée des écrits de l’anarchiste russe Peter Kropotkin, est sa foi dans la responsabilité de l’individu de se libérer de tout dogme, qu’il soit de gauche ou de droite. La deuxième, inspirée par l’art kwakiutl de la côte Nord-Ouest, est sa compréhension de la réalité propre de la forme abstraite et du pouvoir qu’elle possède de transmettre des idées et des sentiments directement sans référence au monde visuel. La troisième, suscitée par sa réaction aux tumulus indiens qu’il a vus lors d’une visite en Ohio et qu’il approfondit plus tard grâce au concept mystique juif de makom - le « lieu » où Dieu est - est son désir de créer dans ses tableaux un sentiment du lieu qui dégagerait le même mystère. Pour Newman, ce sentiment d’être situé constitue la dimension spirituelle fondamentale de l’art; par l’attention qu’il accorde au lieu dans ses tableaux, il espère donner au spectateur un « sentiment de sa propre totalité, de sa propre singularité, de sa propre individualité et, simultanément, de sa relation aux autres, qui sont également séparés.»

Newman présente une exposition solo à la Betty Parsons Gallery de New York en 1950 et une deuxième en 1951. Durant la première exposition solo, une note informe les spectateurs de se tenir près des œuvres afin de pouvoir interagir avec les surfaces des tableaux. Le second solo comprend la première peinture de 8 x 18 pi de Newman. Il obtient peu de critiques de la presse ainsi que de certains de ses amis. Newman retire alors tous ses tableaux et décide de ne jamais exposer de nouveau dans une galerie commerciale.

À l’été de 1959, Newman visite le Canada et anime un atelier estival au lac Emma en Saskatchewan où plusieurs artistes canadiens l’impressionnent beaucoup.

Dans son travail, Newman accorde beaucoup d’attention à la précision des qualités physiques de ses tableaux. Il commence à travailler avec une nouvelle peinture acrylique appelée magma. Il combine ce pigment synthétique à de l’huile ou à de la détrempe pour parvenir à des contrastes chromatiques d’opacité et de profondeur.

Il exprime l’idée de lieu en divisant ses tableaux par une étroite bande verticale de couleur qu’il appelle un « zip », pour évoquer son pouvoir d’activer la surface du tableau. Il explore l’utilisation d’un très grand « zip » (barres symétriques de couleurs) dans l’œuvre La voie I.

En 1967, Newman peint Voix de feu pour le pavillon américain de l’Expo 67 de Montréal. À cette époque, les Américains doivent faire face à des dilemmes moraux soulevés par la guerre du Viêtnam. Selon la veuve de l’artiste, ce conflit le préoccupe énormément. Le tableau n’évoque pas directement la guerre, mais en éveillant chez chaque spectateur la conscience du lieu où il ou elle se tient, il instaure une dimension morale et spirituelle qui est profondément expressive de son lieu et de son époque. Dans Voix de feu, le « zip » est la bande rouge qui est située exactement au milieu du fond bleu.

En 1968, Newman peint Arête jaune. Considérée comme sa dernière œuvre, elle consiste en une seule bande étroite de jaune sur fond noir. Il l’a peint dans la chambre/atelier de son appartement. Newman est décédé d’un arrêt cardiaque le 4 juillet 1970.

Photo: © 1969 Yousuf Karsh