Juan Geuer

Le but de Juan Geuer est « d’étudier notre perception au-delà de la science et de l’art, et de sonder notre capacité créatrice à adapter de nouvelles visions. »

Pour Juan Geuer, la science est une activité aussi créatrice, inspirée et dépendante de la perception que l’art. Il s’intéresse aux parallèles entre les scientifiques et les artistes, et leurs rapports respectifs à l’observation – leurs tentatives de voir la nature de manière toujours plus complète, le scientifique avec ses appareils, formules et statistiques, l’artiste par l’attention et la compréhension des filtres qui colorent notre perception.

Juan Geuer a grandi dans une famille d’artistes hollandais. Il en devient un lui-même, d’abord comme artiste du verre dans les années 1940 et, plus tard, comme peintre de tableaux de chevalet et muraliste. Il quitte la Hollande avec sa famille juste avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale pour immigrer en Bolivie. Quand il s’installe au Canada en 1954, il a beaucoup voyagé et a pratiqué mille métiers. Au Canada, il travaille comme dessinateur en chef à l’Observatoire fédéral de Ressources naturelles Canada, de la fin des années 50 jusque dans les années 1970, où il est exposé quotidiennement aux beautés et aux complexités de la science. Il possède une formation scientifique limitée, mais apprend des scientifiques et, toujours comme penseur indépendant, tire ses propres conclusions. Geuer soutient que la science et l’art sont tous deux des entreprises créatrices qui exigent de leurs praticiens ouverture d’esprit et empressement à accueillir les surprises de la nature.

Dans les années 1960, Geuer est désillusionné par l’idée de faire de l’art comme un produit à vendre à un public restreint; il se met en quête de solutions capables de mieux refléter la créativité de la vie quotidienne. Il finit par voir son activité scientifique comme inséparable de son art. Il abandonne alors la peinture en faveur d’un travail plus conceptuel au début des années 1970. Son intérêt pour la découverte d’un terrain d’entente entre la science et l’art est clairement énoncé dans la mission de sa compagnie, The Truth-Seeker Company, fondée en 1973. Geuer voit la science comme un réseau théorique de systèmes dont la vérification nécessite le renvoi au monde réel, la nature. Toutefois, ce que l’on croit connaître comme la nature n’est toujours qu’un concept basé sur nos perceptions sensorielles. La science peut les amplifier par des instruments qui nous permettent d’observer et d’analyser la nature, et, par conséquent, d’enrichir la compréhension que nous en avons.

À l’inverse, Geuer considère que l’art exige une attitude ouverte envers la nature, un empressement à accepter le donné, si l’artiste doit agir « comme le miroir qui se transmute lui-même en autant de couleurs qu’en a l’objet posé devant lui », pour citer la discussion du but de l’artiste par Léonard de Vinci. Geuer réaffirme dans son art la nécessité pour l’humanité d’entretenir un dialogue honnête avec la nature. L’artiste incorpore des appareils scientifiques dans certaines de ses œuvres. Dans d’autres, il utilise ou analyse les phénomènes naturels comme les couleurs de la lumière polarisée ou l’activité sismique. Pour lui, l’é quipement et les méthodes de la science peuvent servir l’artiste qui prend le temps de les comprendre et de les employer afin de permettre au grand public de pénétrer dans des univers que la science peut révéler.

Dans Karonhia, 1990, une œuvre que possède le Musée des beaux-arts du Canada, un simple dispositif scientifique entre en jeu pour faciliter l’observation de la nature – des miroirs. Ceux-ci sont disposés avec précision pour refléter le ciel et offrent ainsi l’occasion d’observer la variation de ses couleurs et les conditions climatiques. Conçue en réponse aux contraintes architecturales, Karonhia, qui signifie « ciel » en langue mohawk, cadre et reflète le ciel dans quatre directions depuis quatre points d’observation, proposant ainsi un spectacle diurne permanent des phénomènes visuels naturels qui attire notre attention sur un aspect de la nature que nous tenons parfois pour acquis.

H20, une autre œuvre dans la collection du Musée, incorpore un appareil sophistiqué et original qui sert à l’observation d’un autre phénomène naturel, l’eau. Un rayon laser traverse une goutte d’eau alors qu’elle se forme, gonfle, puis tombe d’une source contrôlée. La goutte d’eau agit à la fois comme lentille et image. Son image est projetée sur un mur par le rayon laser qui la traverse, où il est alors possible de la voir à grande échelle. Le grossissement est en soi fascinant – on peut voir la tension à la surface de la goutte, une force qui, pour Geuer, est une force dynamique et mystérieuse, que l’on croit fondée sur la liaison de l’hydrogène présente dans tous les processus biologiques. Il est aussi possible de voir des bactéries et d’autres matières si elles sont présentes – chaque goutte devient un microcosme unique, observable pour la durée de son existence. Dans H20, Geuer donne à l’inimaginable une forme qui peut être perçue et contemplée.

Geuer a beaucoup exposé son travail au Canada et à l’étranger à l’occasion d’expositions solos et collectives. Parmi les principales, mentionnons la présentation de plusieurs œuvres au List Visual Arts Centre du MIT en 1986 et son solo à Rotterdam au Museum Boymans-van Beuningen en 1985.