Entrevue avec Garry Neill Kennedy


Photo : Scott Massey, 2016

À 81 ans, Garry Neill Kennedy demeure l’un des artistes, formateurs et militants en arts visuels les plus influents au pays.

Kennedy entre d’abord à l’Ontario College of Art en 1960, puis, dans le cadre d’un programme de football universitaire, à la University at Buffalo, où il obtient un baccalauréat en beaux-arts en 1963. Il fait ensuite une maîtrise en beaux-arts à l’Ohio University en 1965.

Premier président du Nova Scotia College of Art and Design (NSCAD; 1967–1990) à Halifax, il joue un rôle moteur dans la transformation de ce qui avait été une petite école d’art conservatrice en une institution des arts visuels reconnue internationalement. Kennedy enseigne également au NSCAD pendant plus de 40 ans, tout en poursuivant une pratique artistique ancrée dans la critique du monde de l’art et de sa bureaucratie, le scepticisme face à l’autorité et un sens de l’humour bien trempé. En outre, Kennedy est professeur invité au California Institute of the Arts (CalArts) dans les années 1970, ainsi qu’à l’École nationale supérieure des beaux-arts à Paris en 1995.

Le travail de Kennedy est présenté à l’occasion de nombreuses expositions individuelles à travers le monde, dont une rétrospective en 2001 au Musée des beaux-arts du Canada (MBAC). Ses œuvres font partie de multiples collections particulières et publiques, dont celles du MBAC, du Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse, du Musée des beaux-arts de l’Ontario et du Museum of Modern Art à New York. Il est actuellement de la première exposition triennale de la Vancouver Art Gallery, intitulée Vancouver Special: Ambivalent Pleasures [Spécial Vancouver : plaisirs ambivalents], qui regroupe quarante artistes et est à l’affiche jusqu’au 17 avril 2017.

Kennedy a été reçu membre de l’Ordre du Canada en 2003 et a reçu un Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques en 2004.

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Magazine MBAC : L’exposition de la Vancouver Art Gallery (VAG), Vancouver Special: Ambivalent Pleasures est décrite par la VAG comme « une série de conversations imbriquées ». Parlez-nous de l’œuvre que vous y présentez, et de ce que vous pensez apporter à la « conversation ».

Garry Neill Kennedy : Je présente un ensemble de têtes intitulé Finchwell Revisited (Finchwell, Finchwell, Finchwell, Finchwell and Osborn [Finchwell revisité (Finchwell, Finchwell, Finchwell, Finchwell et Osborn)], œuvre créée il y a 34 ans. Ce sont huit pochoirs de patrons et d’employés de bureau que j’ai tirés de bandes dessinées des années 1950 qu’un ami m’avait données il y a des années, à l’époque où j’étais au NSCAD. Les pochoirs font quelque 230 centimètres carrés, sont peints en noir sur des murs jaune vif, et montrent des patrons houspillant des employés. Ça parle de politique de rapports de travail. J’ai fait de nombreuses œuvres autour de ce thème. C’est un sujet plutôt sombre, le pouvoir des patrons sur les travailleurs.


Garry Neill Kennedy, Finchwell Revisited (Finchwell, Finchwell, Finchwell, Finchwell and Osborn [Finchwell revisité (Finchwell, Finchwell, Finchwell, Finchwell et Osborn)] [détail], 1983/2016, vue de l'installation, Vancouver Special: Ambivalent Pleasures [Spécial Vancouver : plaisirs ambivalents], Vancouver Art Gallery, 3 décembre 2016–17 avril 2017. Photo : Maegan Hill-Carroll, Vancouver Art Gallery

MMBAC : Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait de faire partie de cette exposition?

GNK : Hé bien, il y a dans l’exposition des vieux routiers, comme Glenn Lewis et moi, et puis aussi des plus jeunes, et c’est vraiment agréable de partager l’affiche avec des artistes de la relève. Les œuvres se renforcent les unes les autres très bien. C’est une exposition très cohérente dans cette globalité.

MMBAC : Vous êtes réputé pour le regard incisif que vous portez sur les problématiques sociales, le fonctionnement des bureaucraties et même le monde de l’art. S’agit-il encore de quelque chose d’important pour vous?

GNK : Oui, c’est encore important. J’ai réalisé une autre pièce, Ya ummi, ya ummi, le cri poussé par l’enfant soldat canadien Omar Khadr alors qu’il était interrogé par les agents du SCRS à la prison de Guantanamo, après avoir passé un an sur la base des forces armées américaines de Bagram en Afghanistan. En français, ces mots arabes signifient « Oh mère, oh mère ». Cette création évoque le pouvoir des interrogateurs sur Omar Khadr. J’ai rencontré Omar dans un restaurant de Vancouver, où il m’a donné son entière autorisation pour faire cette œuvre.

MMBAC : Vous avez déclaré que vous n’aimez pas les étiquettes comme « conceptuel » ou « contemporain » en ce qui concerne votre art. Comment qualifieriez-vous votre travail?

GNK : J’imagine qu’il est conceptuel, mais j’ai essayé de comprendre de quoi il s’agit. Si je remonte à la période du NSCAD, tout ce que nous faisions était de cette nature, une pratique post-Duchamp. On peut voir mon travail comme conceptuel ou post-conceptuel, mais je crois qu’il est conceptuel. Je vis avec cette étiquette, mais je ne suis pas obligé de l’aimer.


Garry Neill Kennedy, 
Finchwell Revisited (Finchwell, Finchwell, Finchwell, Finchwell and Osborn [Finchwell revisité (Finchwell, Finchwell, Finchwell, Finchwell et Osborn)] [détail], 1983/2016, vue de l'installation, Vancouver Special: Ambivalent Pleasures [Spécial Vancouver : plaisirs ambivalents], Vancouver Art Gallery, 3 décembre 2016–17 avril 2017. Photo : Maegan Hill-Carroll, Vancouver Art Gallery

MMBAC : Lorsque vous dirigiez le NSCAD, vous avez transformé une petite institution inconnue en haut lieu de créativité à la réputation internationale. Quelles étaient les possibilités que vous avez su déceler?

GNK : À l’époque, j’enseignais au Wisconsin, et je me suis dit : « Pourquoi pas? ». Ils avaient reçu tellement de personnes pour le poste qui pensaient que ce n’était pas une très bonne école. J’y ai vu la chance d’une vie, j’y suis venu et nous en avons fait ce lieu extraordinaire. Personne au Canada ou aux É.-U. ne s’occupait d’art contemporain. Les artistes étaient là, mais pas les institutions de formation. Ça ne faisait pas partie de leur programme. Il y avait de la danse, de la performance et de la vidéo, mais aucun de ces thèmes contemporains n’était abordé dans les écoles d’art.

MMBAC : Quelle a été, selon vous, votre plus grande réalisation au NSCAD?

GNK : De faire entrer ces disciplines au programme du NSCAD, dans le système, et de les enseigner. Et de faire venir les artistes qui travaillaient dans ces disciplines.


Garry Neill Kennedy, Quid Pro Quo, 2015. Photo : Scott Massey

MMBAC : Qu’est-ce que la transformation du NSCAD a apporté à l’art et aux artistes du Canada atlantique?

GNK : Pas uniquement dans le Canada atlantique, mais aussi à travers les États-Unis et en Europe, le NSCAD s’est forgé une réputation d’intégration de ces idées et concepts à son curriculum. Cela a dynamisé toute la structure de l’université et de l’école d’art. Nos diplômés ont ensuite parcouru le vaste monde et y ont diffusé ces idées. Les scènes artistiques canadienne et internationale en ont été transformées.

MMBAC : Une peinture d’histoire américaine (La liste intégrale de la série de couleurs historiques de Pittsburgh Paints) de 1996 est l’une de vos œuvres très connues dans la collection du MBAC. Pouvez-vous expliquer la motivation ou le message qui sous-tend cette pièce?

GNK : C’est un obélisque, une liste de toutes ces couleurs les unes au-dessus des autres. J’ai regardé le nom de ces couleurs et je les ai empilés (56 en tout) en commençant en bas par Smokey Mountain Blue, qui est assez long, et en finissant au sommet avec Gunstock, plutôt court. En les empilant, vous obtenez cette pyramide. Elle ressemble au monument à Washington . C’est étonnant. La dimension militaire est endémique dans cette œuvre : Soldier Green; Bunker Hill; Texas Star; Kitty Hawk; Fort Leavenworth. Ces mots sont intercalés dans cette montagne de couleurs et peints au mur comme on le voit au MBAC : près de 9 m 50 de haut. J’essayais de dire que les É.-U. sont un pays d’armes à feu et d’argent.

MMBAC : Une autre de vos œuvres dans la collection nationale s’intitule Peintures figuratives (1984). Qu’est-ce qui vous a inspiré cette pièce, et quel est son propos?

GNK : Elle évoque la couleur des bateaux de l’OTAN venus dans le port d’Halifax. Mon père était constructeur de navires et l’été, je travaillais comme lui; ça m’a donné une forme d’assise pour ce projet. L’élément clé était la couleur des bateaux de la marine. Je me suis rappelé les couleurs des flottes : pour les Américains, gris foncé; pour les Mexicains, une nuance de gris plus claire; les Canadiens, un joli turquoise. Et j’ai comparé les couleurs des flottes.

MMBAC : Quel conseil donneriez-vous à des étudiants en arts ou à des artistes de la relève?

GNK : Aujourd’hui, les étudiants en arts devraient passer plus de temps à étudier le travail des artistes conceptuels. Étudiez des artistes comme Michael Snow et le photographe Jeff Wall. Je montre à mes étudiants les œuvres de ces artistes, et on discute de leur pratique. Pour les artistes émergents : ne soyez pas trop obnubilés par les ventes.

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Le travail de Gary Neill Kennedy fait partie de l’exposition Vancouver Special: Ambivalent Pleasures [Spécial Vancouver : plaisirs ambivalents] à l’affiche jusqu’au 17 avril 2017. Les visiteurs du MBAC peuvent voir actuellement Une peinture d’histoire américaine (La liste intégrale de la série de couleurs historiques de Pittsburgh Paints) dans la salle d’art contemporain B101. En mai 2017, l’œuvre Peintures figuratives sera présentée dans l’une des salles d’art contemporain des 1er et 2e étages, nouvellement réaménagées.

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