Entrevue avec Robert Houle

  

Avec l'autorisation du Conseil des arts du Canada. Photo : Derreck Roemer

Les peintures de Robert Houle sont un mélange caractéristique d’art autochtone traditionnel et de modernisme. L’artiste canadien s’inspire amplement de son héritage saulteaux et de l’histoire et la poésie qui s’y rattache aussi bien que de l’art contemporain, de la politique et de la littérature pour créer une œuvre largement perçue comme un langage visuel indigène unique.

Récompensée en 2015 par les Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques, l’œuvre de Houle a été jugée exemplaire en ce qu’elle « se caractérise par sa retenue esthétique, sa rigueur intellectuelle et une profonde empathie ». L’artiste est reconnu mondialement pour son influence sur l’histoire de l’art, tant autochtone qu’occidentale.

Houle est diplômé en histoire de l’art de l’Université du Manitoba, et en éducation par l’art de l’Université McGill. Il a étudié la peinture et le dessin à l’académie estivale internationale des beaux-arts à Salzbourg, en Autriche, puis a enseigné les études autochtones à l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario pendant 15 ans. Il a été conservateur de l’art indien contemporain au Musée canadien des civilisations de 1977 à 1981.

Le travail de Houle a été présenté dans les grands musées internationaux, dont le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC), qui possède plusieurs de ses œuvres, ainsi que le Musée des beaux-arts de l’Ontario, le Museum of Contemporary Art à Sydney, le Centre culturel canadien à Paris et le Stedelijk Museum d’Amsterdam.

Houle est membre de la Première Nation Sandy Bay au Manitoba. Enfant, il a vécu dans un pensionnat, et son œuvre reflète fréquemment cette période de sa vie.

Dans cette entrevue à Magazine MBAC, Robert Houle explique comment sa pratique est façonnée par ses activités de peintre, d’auteur, de conservateur et de professeur.

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Robert Houle, Messengers [Messagers] (2010), aquarelle et mine de plomb sur papier, 56 x 76 cm. Collection du MacLaren Art Centre. Don de la famille John F. (Jack) Petch, 2014

Magazine MBAC : Qui vous a encouragé à persévérer pour devenir un artiste?

Robert Houle : À l’école secondaire, j’ai été poussé par le directeur et certains de mes enseignants, qui avaient tous noté mes capacités en dessin et en création. Rédacteur du journal et de l’annuaire de l’école trois ans de suite, j’ai eu la chance de pouvoir concevoir sans entrave, et on m’a encouragé à soumettre ma candidature pour des bourses d’études en art et à suivre des cours d’art à l’extérieur de l’école. À l’université, j’ai étudié les poètes romantiques, dont les vers m’ont amené à voir dans les illustrations de William Blake une source d’activité créative possible. Mais ce n’est que quand j’ai suivi un cours d’histoire de l’art que j’ai pris conscience de mon envie de faire de l’art un métier.

MMBAC : Dans votre propre pratique créative, vous êtes réputé pour votre talent à mélanger peinture moderniste et éléments de votre héritage saulteaux. Pouvez-vous nous expliquer comment cette approche a évolué?

RH : En tant qu’artiste, je n’ai jamais donné prise à cette notion d’une modernité qui d’une certaine façon m’exclurait racialement parlant, parce que l’abstraction a toujours été une part spirituelle et narrative de ma culture visuelle saulteaux. Dans ma jeunesse, je me rappelle qu’il était de tradition, dans ma communauté, d’envoyer les jeunes filles dans la forêt durant leur première lune pour y cueillir des feuilles d’arbres qu’elles allaient ensuite plier et mordiller afin de créer des motifs abstraits pour leurs décorations de piquants de porc-épic et broderies perlées. C’était de l’abstraction en se servant de son corps. Il y a de nombreux autres exemples concernant les garçons, et plus tard dans la vie, les chamans.

 

Robert Houle, Two Epistemologies [Deux épistémologies] (2008), pochoir alphabet en vinyle, aquarelle et piquants de porc-épic montés sur cartons de montage sur papier, 56 x 76 cm. Collection du MacLaren Art Centre. Don de la famille John F. (Jack) Petch, 2014

MMBAC : Plusieurs de vos œuvres ont récemment été acquises par le MacLaren Art Centre à Barrie, en Ontario, et sont présentées dans une exposition intitulée Obscured Horizons [Horizons obscurcis]. Vous avez dit que vous aimiez ce titre. Pourquoi? Pouvez-vous nous décrire cette installation, en particulier les techniques mixtes auxquelles vous avez recours pour ces œuvres?

RH : Effectivement, le titre est assez intéressant, car il suggère une obstruction de l’horizon. C’est comme si quelque chose avait délibérément été retenu. Et ça pourrait certainement être le cas depuis une autre perspective. L’exposition a très bien fonctionné avec le public, probablement à cause du côté inhabituel de l’utilisation du lavis à l’huile et des piquants de porc-épic.

MMBAC : Vous avez amplement exploré et illustré l’histoire des Premières Nations au Canada. Expliquez-nous en quoi il s’agit d’un élément important de votre œuvre.

RH : L’histoire remonte à une série que j’ai réalisée en 1985, une suite de 13 œuvres sur papier en techniques mixtes intitulée Parfleches for the Last Supper [Pare-flèches pour la dernière Cène], dans laquelle j’ai voulu intégrer pour la première fois des matériaux indigènes en référence à l’animisme et aux nouveaux matériaux technologiques comme l’acrylique. L’une d’entre elles, #5 Philip [No 5 Philippe], fait la couverture du dernier numéro d’Art History, la revue de l’Association of Art Historians. Ce processus consistant à utiliser des matériaux disparates illustre la dimension biculturelle et le besoin d’aborder les différences fondamentales entre mes traditions spirituelles et culturelles et celles du paradigme chrétien dans l’art occidental. J’ai en fait commencé à faire appel à ce genre de combinaisons au début des années 1970, alors que j’étais à l’Université McGill. J’avais étudié par moi-même les travaux ojibwés avec piquants de porc-épic et broderies perlées, ce qui, à l’époque, a abouti à la création de 13 peintures acryliques inspirées de poèmes d’amour. Après avoir quitté le Musée canadien des civilisations et m’être installé à Toronto, je voulais trouver ma propre voie pour m’exprimer, en me servant de tout ce que je considérais comme la partie enfouie de mon identité après avoir survécu 12 ans dans le système des pensionnats.

  

Robert Houle, Anishnabe [Anichinabé] (sans date), acrylique et crayon sur papier, 56 x 76 cm. Collection du MacLaren Art Centre. Don de la famille John F. (Jack) Petch, 2014

MMBAC : Comment votre patrimoine anichinabé saulteaux continue-t-il à influencer votre travail?

RH : Je suppose que cela remonte à une histoire datant de juste après la période glaciaire. Notre paradis mystique de l’île de la Tortue avant que Colomb pense qu’il avait atteint les Indes est un récit transmis par les anciens. Il est juste de supposer que cette lignée constitue un héritage important. C’est aussi source d’inspiration et un rien ironique, si l’on pense aux 700 ans de destruction coloniale du paradis.

MMBAC : En 2015, on vous a remis un Prix du Gouverneur général en arts visuels et en arts médiatiques. L’une des œuvres remarquées est votre tableau emblématique Kanata (1992), dans lequel vous recadrez La mort du général Wolfe (1770), de Benjamin West. Décrivez-nous comment vous avez représenté cette scène et pourquoi.

RH : Le guerrier delaware dans Kanata porte les couleurs nationales des Français et des Anglais. Mon intention était de souligner son impassibilité par rapport au combat qui venait juste d’avoir lieu.

MMBAC : Vous êtes artiste, conservateur et professeur. En quoi ces rôles influencent/alimentent-ils votre œuvre?

RH : Avec tous ces rôles, y compris l’écriture et le militantisme, il est intéressant de constater que ma création artistique a toujours été avant tout personnelle. C’est la seule manière dont je peux rester concentré, parce que quand une pièce quitte votre atelier, elle devient éminemment publique.

    

Robert Houle, Anishnabe [Anichinabé] (2008), pochoir alphabet en vinyle, aquarelle et piquants de porc-épic montés sur cartons de montage sur papier, 56 x 76 cm. Collection du MacLaren Art Centre. Don de la famille John F. (Jack) Petch, 2014

MMBAC : Qu’est-ce que vous voulez que les gens retiennent ou apprennent de vos œuvres?

RH : La chose que je trouve peut-être la plus gratifiante dans une exposition, c’est que le public lit littéralement dans votre travail. Beaucoup de gens, comme ceux qui m’inspirent, vont terminer une phrase qui aura commencé sur la toile.

MMBAC : Quel conseil auriez-vous pour les étudiants ou les artistes de la relève?

RH : Mon conseil serait celui que ma défunte mère m’a donné quand elle a réalisé que je ne deviendrais ni avocat ni médecin : « Ne peins pas ce que tu ne connais pas ».

Parmi les prochaines expositions individuelles consacrées à Robert Houle, notons Shaman Dream in Colour [Rêve chamanique en couleur], aux Kinsman Robinson Galleries à Toronto du 23 avril au 14 mai, Ritual and Ceremony [Rituel et cérémonie], à l’Art Gallery of Burlington du 24 septembre au 10 novembre, et Memory Drawings [Dessins de mémoire] à la Latcham Gallery à Stouffville du 1er octobre au 12 novembre.

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