La voix et la résistance dans les Soundsuits de Nick Cave

Toutes les images : Nick Cave, Soundsuit, 2015, techniques mixtes comprenant corne de gramophone, oiseaux en céramique, fleurs en métal, perles enfilées, tissu, métal et mannequin, 284.5 x 150 x 122 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Nick Cave, avec l’autorisation de Jack Shainman Gallery, New York. Photo: MBAC

 

Artiste contemporain reconnu et directeur du département mode de la School of the Art Institute de Chicago, Nick Cave vit et travaille à Chicago. Les costumes sonores qu’il crée composent une série expressive de sculptures figuratives conçues à la fois comme des vêtements et comme des moyens d’expression. Ils sont autant une bulle de sécurité et d’intimité qu’une couche isolante faite d’une accumulation de matières et de sens qui protègent du monde extérieur. En même temps, ces habits qui recouvrent le corps se projettent au-dessus et au-delà de ses limites, revendiquant  un espace pour les éventuels  interprètes ou personnages imaginaires qui les habitent.  Ces deux fonctions  sont intrinsèquement liées à la place des Noirs en Amérique du Nord –  une population à la fois vulnérable et résolument présente.

 

L’artiste noir et homosexuel a révélé que sa première création du genre,  un costume de branches et brindilles qui devient sonore lorsqu’il s’anime, est le résultat du choc qu’il a éprouvé en 1991 lorsque quatre policiers blancs ont roué de coups un homme non armé, Rodney King. Ressentant le besoin d’une épaisseur supplémentaire de protection, Cave a imaginé cet habit comme une sorte de « seconde peau ou d’armure »  qui « efface la race, le sexe et la classe sociale». Conservateur et auteur Nato Thompson évoque dans Nick Cave: Epitome les réflexions de Cave sur cette époque, Cave explique : « Je me souviens d’avoir pensé que le seul endroit où mon identité était vraiment protégée, c’était chez moi. Dès que je quitte cet espace, je cours le risque d’être un autre profil racial. » Des mots qui résonnent malheureusement aujourd’hui de façon encore plus urgente, soulignant la pertinence de ce projet à la lumière du mouvement #BlackLivesMatter et de la violence étatique continuelle dirigée contre les minorités raciales tant aux États-Unis qu’au Canada.

 

Cave a continué à créer des Soundsuits à partir de toutes sortes de matériaux allant de jouets anciens , de souvenirs et d’objets de collections à des perles, des boutons et des ballons gonflables, sans oublier des cure-pipes, des décorations saisonnières, des  pompons, des courtepointes et de la fausse fourrure ou des cheveux  teints de couleurs vives – toute une gamme sensorielle d’éléments décoratifs élégamment et somptueusement condensés dans des sculptures uniques. La plupart de ces matériaux relèvent de l’artisanat, du kitsch ou du folklore tandis que les formes des costumes évoquent les déguisements et les fêtes des défilés  du mardi gras, les spectacles de travestis, le chamanisme et les costumes rituels. L’aspect performance de ces œuvres est essentiel pour comprendre leur sens et leur valeur. Pour l’artiste, ces costumes une fois revêtus deviennent des objets qui ont un pouvoir de transformation doublé d’une faculté  d’enrichir la vie.

 

Faisant partie de la Biennale canadienne 2017 (et l’image principal de l’exposition), Soundsuit (2015) exprime de manière encore plus claire  la relation au « son » avec son grand gramophone bleu en guise de visage. La tête est entourée d’un nid composé d’oiseaux chanteurs jouets, de perles et de fleurs semblable à un lustre qui donne forme à la voix joyeuse et cacophonique dont nous pouvons penser qu’elle émane du porteur de ce vêtement unique. Si la gaité des couleurs et le chatoiement des textures créent un sentiment de fête et d’opulence, ce costume « amplifié »  reste cependant intimement lié  à la motivation  politique qui le sous-tend. Comme l’a expliqué  l’artiste  en 2015 lors d’une causerie à  Ottawa, il a « …commencé à réfléchir au rôle de la protestation » lorsqu’il a entendu le son de son premier costume. « Pour être entendu, il faut parler plus fort. »

La quatrième biennale canadienne est à l’affiche au Musée des beaux-arts du Canada au 18 mars 2018. L’exposition est accompagnée d’un catalogue illustré, disponible sur le site ShopNGC.ca. Voyez les entrevues de Nick Cave à Art Talk: une entrevue avec Nick Cave à l'Institute of Contemporary Art/Boston et avec Jonathan Shaughnessy au Conversations Contemporaines du Musée des beaux-arts du Canada.

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