
Vue d’installation de Suzy Lake, série Chorégraphie et tour d’adresse, 1976. Dessins à la mine de plomb, 66.2 x 51 cm (chacun). Collection MCPC, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Suzy Lake Photo : MBAC.
Le corps en mouvement
La sélection foisonnante d’œuvres de la collection du Musée des beaux-arts du Canada présentée dans Mouvement. L’expressivité du corps dans l’art met en avant le pouvoir de ce dernier de relier, impliquer et inspirer. Des pièces du XVIIe siècle à nos jours témoignent de la permanence et de la force de l’art, et de sa capacité à façonner la vie contemporaine de façon novatrice et dynamique. L’énergie expressive du corps humain est au cœur de l’exposition.
Des photographies, vidéos, gravures, dessins et peintures figurent le mouvement tels une ligne gracieuse ou des traits de couleur explosifs. Dans d’autres cas, les artistes font bouger le corps pour explorer les nombreuses possibilités d’interaction et de relations humaines. Les corps se produisent devant l’appareil pour remettre en question les normes sociétales de genre, de race et d’ethnicité, leurs mouvements incarnant un appel à l’action pour réparer les inégalités ou les injustices. Dans d’autres cas encore, des personnages s’enlacent, se tendent et se soutiennent mutuellement, leurs gestes s’arrêtant momentanément pour matérialiser le besoin de contact humain et reconnaître une condition physique et mortelle commune.

Kees Van Dongen, Souvenir de la saison d'opéra russe, 1909. Huile sur toile, 54.2 x 65 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Adagp, Paris / SOCAN, Montreal (2022) Photo : MBAC
Au tournant du XXe siècle, les artistes ont traduit le dynamisme de la modernité par des couleurs vives et des lignes expressives. Les peintures illustrent les gestes du corps comme des éléments graphiques sinueux, les couleurs fortes représentant les énergies vitales et les moments atypiques. Dans Souvenir de la saison d’opéra russe de Kees Van Dongen (1909), les ballerines Anna Pavlova et Ida Rubinstein interprétant Cléopâtre sont représentées par des teintes brillantes, des courbes stylisées et une composition rythmée, évoquant la langueur sensuelle de la danse et l’exubérance de la vie nocturne de Paris.

Lisette Model, Pearl Primus, New York, 1943. Épreuve à la gélatine argentique, 34.5 x 27.5 cm. Don de la succession de Lisette Model, 1990, sous la direction de Joseph G. Blum (New York), par l'entremise des American Friends of Canada. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Succession Lisette Model Photo : MBAC
Un peu plus tôt, la photographie indiquait le mouvement par des images séquentielles qui allaient mener à l’invention du cinéma. Par la suite, des techniques photographiques améliorées ont permis de capter le dynamisme grâce à la proximité de l’action et aux angles de caméra bas, conférant au sujet une présence plus grande que nature. Lisette Model appréciait l’énergie de la vie et des moments non convenus. Pour elle, une photographie réussie devait d’abord transmettre l’émotion de l’auteur envers son sujet et l’environnement de ce dernier, un sentiment qu’on peut discerner dans son image des expressions corporelles très chargées de Pearl Primus, pionnière de la danse afro-américaine moderne. Les artistes exploitent également l’éclairage dramatique et les longs temps d’exposition pour transformer l’instant d’une danse gestuelle en une déclaration puissante sur les événements en cours.

Suzy Lake, Sans titre et Sans titre, de la série Chorégraphie et tour d’adresse, 1976. Dessins à la mine de plomb, 66.2 x 51 cm; image: 58.4 x 43.1 cm (chacun). Collection MCPC, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Suzy Lake Photo : MBAC
Les processus artistiques produisent des pistes de réflexion précises pour les créateurs – en particulier pour ceux qui étudient l’interrelation entre la retenue, le contrôle et l’expression. Dans les débuts de l’art conceptuel, l’atelier était un moyen de se concentrer sur la création, guidé par le dicton qui veut que tout ce qui y est réalisé soit de l’art. Les contextes narratifs étaient occultés pour mettre l’accent sur des activités simples, répétitives. Dans d’autres œuvres, les formes corporelles agissent comme des ressorts artistiques. Le corps est également présenté comme capturé, déplacé et retenu par des forces inconnues.
La suite d’images dynamiques de Suzy Lake exprime un état physique et émotionnel de vulnérabilité et d’impuissance. L’artiste considère ses productions comme des « enregistrements » visuels de ses efforts pour prendre le contrôle dans des circonstances où elle n’en avait aucun vraiment. D’autres explorent la notion de l’individu qui se dissout dans les images et parfois à travers elles, suggérant que ce qui n’est pas présent ou facilement visible est aussi vital que ce qui est mis au premier plan.

Jacques Callot, Riciulina et Metzetin, v. 1622. Eau-forte sur papier vergé, 9.5 x 12.6 cm. Don de Philip R.L. Somerville, Ottawa, 1997.Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
Les limites physiques du corps contredisent souvent les réalités psychologiques et émotionnelles. On trouve des représentations historiques de cet état chez Jacques Callot, avec l’engagement animé des individus dans des danses baroques. Noblesse et inconvenance se confondent ici indistinctement à travers le maniement de l’artifice et l’amour de la caricature à la limite du grotesque.
Plus récemment, le travail des artistes conceptuels Marina Abramović et Ulay s’est concentré sur la dynamique émotionnelle de deux personnes qui collaborent. Dans Relation dans l’espace (1977), ils ont couru l’un vers l’autre à plusieurs reprises, leurs corps nus s’entrechoquant à une vitesse toujours plus grande. Utilisant ceux-ci pour explorer le potentiel et les échecs de la dualité homme-femme, ils ont repoussé les limites physiques et mentales, leur endurance déterminant souvent la longueur de la performance. Les interactions des corps révèlent le processus de création artistique et communiquent un éventail d’états, de l’empathie à l’hostilité.

Marina Abramović, Ulay, Relation dans l’espace, 1977, du portfolio de 7 photographies noir et blanc de Piccolo Sillani, 45.8 x 35.6 cm (chacun). Collection Art Metropole, don de Jay A. Smith, Toronto, 1999. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Avec l’authorisation de Marina Abramovic et Sean Kelly Gallery, New York / SOCAN (2022). Photo : MBAC
Dans son œuvre Bras longs, l’artiste pluridisciplinaire Sarah Anne Johnson représente la condition contraire. Elle illustre le lien émotionnel et physique d’un couple par le biais d’un agencement serré de bras allongés. La pièce explore le besoin de contact intime et d’intimité, en dépeignant ce lien émotionnel profond comme deux corps qui fusionnent, ne faisant qu’un.
La circulation mondiale séculaire des objets culturels – par le vol, le commerce et les échanges – a attribué à ceux-ci des valeurs étrangères et rendu orphelines des œuvres dans des musées et des collections régis par des processus coloniaux. Pourtant, alors que les lignes historiques sont rompues ou maintenues en suspension diasporique, les objets conservent les traces des individus et cultures auxquels ils appartiennent.

Brian Jungen, Coiffre de représentation, 2019. Chaussures athlétiques Nike Air Jordan, 87.5 x 76 x 67 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Brian Jungen Photo : Rachel Topham Photography, Avec l'autorisation de Catriona Jeffries, Vancouver
L’art de créateurs autochtones tels que Brian Jungen et Daphne Odjig témoigne du succès du lien de continuité avec le passé, malgré la violence que les communautés ont subie dans le cadre de la construction de la nation. L’absence évoque la présence, notamment le pouvoir et le rôle potentiel que ces pièces peuvent encore jouer pour les personnes désireuses d’examiner les injustices historiques. La performance et vidéo de l’artiste alutiiq Tanya Lukin Linklater, Un réassemblage en douceur (2021), résume le concept central de sa pratique, puisqu’elle revient sans cesse aux structures et formes de connaissances autochtones. À travers des recherches, chorégraphies et spectacles basés sur la danse, elle réagit de façon critique aux formes constantes de violence coloniale qui continuent d’affecter les peuples et cultures des Premières Nations.
Le racisme qui sous-tend l’esthétique occidentale a également minimisé la fonction originale de nombreux objets autochtones dans le maintien de la communauté, de l’histoire et de la tradition. L’entrée de masques africains dans les musées occidentaux en est un exemple, particulièrement en ce qui concerne leur rôle dans le soutien des idées du formalisme moderniste et du mouvement d’avant-garde du XXe siècle. Brendan Fernandez explore l’esthétisation de corps et objets détournés de leur sens initial dans sa série Unicité (2017).

Brendan Fernandes, Comme un Seul III, 2017, tiré en 2021. Épreuve au jet d'encre sur papier, 86.5 x 122.2 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Brendan Fernandes Photo : MBAC
Les photographies placent des danseurs de ballet en conversation avec des masques d’Afrique de l’Ouest issus de la collection Cravens dans les galeries de l’University of Buffalo. L’artiste envisage un mode de communication performatif entre les artéfacts et les danseurs qui adoptent diverses poses à proximité des masques.
Des histoires difficiles sous-tendent la vidéo d’Adam Pendleton, Tout juste de retour de Los Angeles : un portrait d’Yvonne Rainer (2016–2017). L’artiste et chorégraphe d’avant-garde Yvonne Rainer partage un repas et discute de sa danse novatrice dans Trio A (1966). Pendleton oriente ensuite le discours en faisant lire à Rainer un texte composé de diverses citations des défenseurs et chefs de file afro-américains des droits civiques Stokely Carmichael et Malcolm X, et de la militante Keeanga-Yamahtta Taylor, avec des extraits de ses propres œuvres publiées. La vidéo ouvre un espace où Pendleton et Rainer peuvent affronter la douleur, la colère et la souffrance engendrées par le racisme pour des générations de personnes à travers la compassion, le respect, l’ouverture et l’attention.

Marian Penner Bancroft, 2 h 50, Hôpital Mission Memorial […] six heures en travail […] Judy et Tennyson […] dansent un slow (détail), 1982. Épreuves à la gélatine argentique, 66 x 293.1 cm. Collection MCPC, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Marian Penner Bancroft Photo : MBAC
En tant que dernière pièce de l’exposition, une œuvre de Marian Penner Bancroft porte sur la force du confort; dans 2 h 50, Hôpital Mission Memorial […] six heures en travail […] Judy et Tennyson […] dansent un slow (1982), on voit un couple s’étreignant, se soutenant physiquement et émotionnellement dans l’attente de la naissance de leur enfant.
Mouvement. L'Expressivité du corps dans l'art, soutenu par le Programme de photographie Banque Scotia au Musée des beaux-arts du Canada, est à l'affiche au Musée des beaux-arts du Canada de 2 septembre 2022 jusqu'au 26 février 2023. Consultez le Calendrier pour les événements et spectacles connexes. Partagez ce texte et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.