Clarence Gagnon, The Train, Winter, c.19–14. Oil on canvas

Clarence Gagnon, Le train en hiver (détail), v. 1913–14. Huile sur toile, 53.3 x 66 cm. Collection de Donald R. Sobey. Photo : MBAC

Les artistes du Canada abordent l’impressionnisme

Né en France pendant la seconde moitié du XIXe siècle, l’impressionnisme a franchi les frontières pour devenir un phénomène artistique d’envergure mondiale. Don impact sur les artistes canadiens, sa réception au Canada et sa place dans l’émergence de l’art moderne dans ce pays font l’objet d’une exposition du Musée des beaux-arts du Canada intitulée Le Canada et l’impressionnisme. Nouveaux horizons. Cette entreprise ambitieuse s’attarde à la contribution des artistes canadiens qui, ici ou à l’étranger, ont adopté l’approche et les techniques impressionnistes, ainsi qu’à mettre en lumière ce qui réunit et ce qui distingue ces impressionnistes de leurs homologues européens. L’exposition montre quand et comment ces artistes ont pu créer leurs versions de l’impressionnisme, en accord avec leur propre pratique, comment ils l’ont adapté à leur pays et à sa lumière.

Marc-Auréle de Foy Suzor-Coté, Dégel, Arthabaska, 1915. Huile sur toile

Marc-Auréle de Foy Suzor-Coté, Dégel, Arthabaska, 1915. Huile sur toile, 100.3 x 79.5 cm. Collection de Power Corporation of Canada.

L’exposition, bâtie autour de sept thèmes distincts, montre un demi-siècle de création dans une large palette de pratiques artistiques, illustrant la diversité des approches par les artistes canadiens de l’impressionnisme français, mais aussi des courants suivants, comme le postimpressionnisme, le fauvisme ou l’Art nouveau. Ce que les peintres ont appris de leur voyage d’études, particulièrement en France, est démontré à travers leur travail sur les sites qu’ils élisaient; la ville avec Paris, la campagne française, les côtes de la Manche, et encore au-delà des frontières de l’hexagone. On s’attarde aussi à la nouvelle place faite aux femmes et aux enfants, qu’ils soient montrés en extérieur ou dans l’intimité domestique. Enfin, les deux dernières parties de l’exposition mettent en exergue ce qui a changé dans le travail de ces artistes à leur retour au Canada, lorsqu’ils appliquent aux sujets locaux un style renouvelé et une approche moderne. On y constate que, quel que soit le motif, la lumière et l’atmosphère changeantes, des concepts modernes ont envahi la peinture des impressionnistes canadiens.

Capitale de l’art moderne à l’époque, Paris attirait en Europe des artistes canadiens en quête de formation et d’une éventuelle carrière. Parmi les premiers établis, en 1878, il y a William Brymner et Frances Jones, respectivement nés à Montréal et à Halifax. James MacDonald Barnsley (Montréal), Paul Peel (London) et William Blair Bruce (Hamilton) leur emboîteront bientôt le pas. Certains s’inscrivent à l'École des beaux-arts, alors que d’autres choisissent parmi de nombreuses institutions privées ou ateliers d’artistes parisiens. Les progrès sont rapides pour certains, qui parviennent rapidement à exposer au convoité Salon de Paris et ainsi à obtenir l’œil du public et une reconnaissance internationale.

James Wilson Morrice, L'Omnibus, v.1900. Huile sur toile

 James Wilson Morrice, L'Omnibus, v. 1900. Huile sur toile,  60.8 x 50 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

Peu de ces peintres exilés ont eu la vie urbaine et ses cafés bondés pour sujets de prédilection pendant leur séjour : James Wilson Morrice, et parfois William Blair Bruce, Maurice Cullen ou Clarence Gagnon. Morrice a ainsi une niche unique dans l’art canadien, lui qui a croqué des lieux de rassemblement : cafés, fêtes de saison, régates ou représentations du cirque. Dans L’Omnibus, c’est le reflet de la lumière sur les pavés mouillés qui retient le regard de l’artiste. Dans la ville moderne, les déplacements sont rendus possibles grâce aux moyens de transport qui multiplient les occasions de rencontre. Et l’éclairage électrique permet de s’y retrouver après la tombée de la nuit.

Bien que chaque artiste ait eu sa propre expérience de la ville, certains ont choisi de la partager en petits groupes informels; c’est le cas de La Boucane, le groupe probablement initié en 1893 par Hector Fabre, premier agent général du Canada à Paris, qui inclut le sculpteur Louis-Philippe Hébert et le peintre Henri Beau. Ses membres, surtout des Canadiens français, fréquentaient le Café Fleurus, près du jardin du Luxembourg, pour des repas copieux et des débats animés. Les studios et les résidences des compatriotes (Caroline et Frank Armington, au 8, rue de la Grande Chaumière, George et Mary Hiester Reid au 65, boulevard Arago, ou, plus tard, Clarence Gagnon au 9, rue Falguière) se font aussi lieux de rassemblement pour les expatriés canadiens afin d’échanger et partager leurs expériences.

William Blair Bruce, Paysage aux coquelicots, 1887. Huile sur toile

William Blair Bruce, Paysage aux coquelicots, 1887. Huile sur toile, 27.3 x 33.8 cm. Acheté avec l'assistance de Wintario, 1977. Art Gallery of Ontario, Toronto.

En 1887, quelques années après que l’impressionniste français Claude Monet se soit installé à Giverny, le jeune peintre William Blair Bruce devient le seul membre canadien de la nouvelle colonie artistique internationale du lieu. À Giverny, le style de Bruce évolue vers une palette plus claire et l’artiste devient plus sensible à l’intégration de la lumière à ses scènes rurales, comme dans Paysage aux coquelicots.

Les artistes canadiens cherchent de nouveaux sites pour peindre en plein air et l’expansion du chemin de fer dans la France des années 1880 leur ouvre des accès à la campagne ou aux nouvelles stations balnéaires de Bretagne ou de Normandie, dans le nord-ouest du pays. Des sites déjà prisés par les impressionnistes français comme Fontainebleau, Barbizon et les colonies artistiques de Pont-Aven, Giverny, Grez-sur-Loing et Moret-sur-Loing sont graduellement investis par certains de ces artistes. Là, ils trouvent les conditions qui vont leur permettre de devenir plus sensibles à la lumière fuyante qui éclaire leur sujet, à l’atmosphère changeante qui le baigne. Les paysages ne sont pas leurs seuls sujets et le quotidien de la population locale, les scènes de marchés fréquentés ou de ports de pêche animés enrichissent leur lexique artistique.

Maurice Cullen, Hiver à Moret, 1895. Huile sur toile

Maurice Cullen, Hiver à Moret, 1895. Huile sur toile, 59.7 × 92.1 cm. Don de J.S. McLean, Canadian Fund, 1957. Art Gallery of Ontario, Toronto. Photo : Art Gallery of Ontario 56/29

Peinte à Moret-sur-Loing en 1895, la toile Moret, l’hiver prouve que Maurice Cullen peut très bien, dès le début de sa carrière, « rendre » le froid piquant d’une journée d’hiver. La lumière y rompt le calme de la surface de l’eau glacée et le rose vibrant fait vaciller les reflets d’une rive à l’autre. La composition rappelle les paysages de glaces à la dérive de la série de tableaux de Monet.

De nouvelles possibilités, de nouveaux sujets s’offrent dès la seconde moitié du XIXe siècle sur les côtes de France, où s’est installée une vie balnéaire, avec ses activités récréatives, la vie quotidienne sur les berges et les vêtements à la mode de ses estivants. Tout cela enrichit de différentes perceptions la pratique de ces impressionnistes. La lumière y cherche de plus en plus fréquemment l’essence du sujet, comme si on portait un regard neuf sur la scène, qu’il s’agisse de motifs en mouvement ou au repos.

Helen McNicoll, Sous la tente, 1914 et Arthur Dominique Rozaire, Nus sur la plage, 1914. Huile sur toile

Helen McNicoll, Sous la tente, 1914. Huile sur toile, 80 × 59.5 cm. Collection particulière, Toronto; Arthur Dominique Rozaire, Nus sur la plage, 1914. Huile sur toile, 52.5 × 48 cm. Collection particulière, Toronto.

Les succès de ce premier groupe de Canadiens en France incitent une nouvelle génération d’artistes, hommes et femmes, à franchir les frontières au début du XXe siècle. Dans cette seconde vague, on trouve notamment Clarence Gagnon, W.H. Clapp et Helen McNicoll. Rapidement, le style impressionniste n’a plus de secret pour McNicoll, par ailleurs consœur de classe de Clapp et de Gagnon dans les cours de Brymner à Montréal. Les compositions de ces jeunes impressionnistes se font audacieuses, alors que l’usage de couleurs plus vives devient la norme. Ils étudient le caractère changeant de la lumière et en font le sujet premier de leur peinture, ce qui les amène à aller au-delà de l’utilisation de la couleur pure pour expérimenter des mélanges de teintes. La lumière est ainsi utilisée pour s’emparer du sujet et suggérer plus de calme ou, au contraire, d’animation. Dans Sous la tente, de McNicoll, un éclairage indirect cascade sur le visage et la robe du modèle pour installer une atmosphère reposante, alors que Rozaire crée l’exultation dans Nus sur la plage en ayant recours à une lumière directe qui ricoche sur les personnages.

Le sujet classique du modèle féminin – nu ou vêtu – est revisité par la sensibilité impressionniste. Malgré les limitations sociales et professionnelles que le début du XXe siècle imposait aux femmes au pays et à l’étranger, on en retrouve bon nombre parmi les impressionnistes canadiens du temps. Ces artistes remettent en cause le rôle et l’image de la femme moderne, à une époque où le progrès industriel génère les débats. Peinte en extérieur ou dans son foyer, la femme est redéfinie et ainsi en va-t-il du rôle qu’elle peut jouer.

Laura Muntz, La robe rose, 1897. Huile sur toile

Laura Muntz, La robe rose, 1897. Huile sur toile, 34 × 45 cm. Collection particulière, Toronto. Photo: Thomas Moore

L’Angleterre victorienne a fait du thème de l’enfance un sujet philosophique, social et littéraire important, avant l’avènement de l’impressionnisme. Les impressionnistes français revalorisent cependant la représentation des enfants en les peignant en extérieur. Les impressionnistes canadiens aussi vont chercher à saisir l’enfance dans ce qu’elle offre d’insouciance. Leurs portraits les montrent en train de lire tranquillement ou de prendre soin des plus jeunes. Des artistes excellent dans ces sujets; c’est le cas de La robe rose (1897) de Laura Muntz et Petit garçon (1897) de Sophie Pemberton.

James Wilson Morrice, Venise au crépuscule, v. 1901–02. Huile sur toile

James Wilson Morrice, Venise au crépuscule, v. 1901–02. Huile sur toile, 65.4 × 46.3 cm. Legs de Gwendolen Rutherfurd Caverhill (1949.1005). Musée des beaux-arts de Montréal. Photo : MBAM

Les impressionnistes canadiens s’aventurent au-delà des frontières françaises dès 1890, pour découvrir l’Italie, l’Espagne et les pays scandinaves. Venise est déjà depuis des siècles un site de prédilection pour bien des artistes du monde, et Morrice, qui est en 1903 le premier à exposer en tant que Canadien à la Biennale, y peint bon nombre de toiles dans des styles qui vont de la fin de siècle whistlerienne au modernisme assumé. Son tableau Venise au crépuscule, dans la représentation de bâtiments familiers, l’acuité du regard du peintre et le détachement de sa sensibilité moderniste.

L’expansion coloniale facilite les voyages vers des destinations lointaines pour bien des artistes européens et nord-américains. Pour peindre le quotidien des gens du cru, des peintres comme Franklin Brownell choisiront les canons de l’impressionnisme : observer un instant de vie et traduire leurs impressions de la lumière et des couleurs. Leur travail passe cependant sous silence les conséquences politiques de l’occupation coloniale.

Franklin Brownell, En attendant les bateaux de Nevis, 1916. Huile sur toile

Franklin Brownell, En attendant les bateaux de Nevis​, 1916. Huile sur toile, 41.5 × 52.5 cm. Collection particulière, Toronto.

De retour au Canada, les peintres, dont Cullen et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté, partagent ce qu’ils ont appris et vécu à l’étranger avec leurs contemporains et le public, en exposant leur travail à la Société des Arts de Montréal et à l'Académie royale des arts du Canada. Chez eux, Cullen et Suzor-Coté développent une approche locale de l’impressionnisme, un mouvement pérenne qui puise dans le climat et la topographie uniques du Canada. La nature les inspire et les deux artistes préfèrent le cadre rural à la vie urbaine. Ils recueillent rapidement en plein air, au cœur de rudes hivers, leur ressenti de la neige et des conditions atmosphériques pour reporter sur la toile l’état des lieux avec une note de caractère local. Les jeunes émules de ces impressionnistes, incluant Clapp, Gagnon et Robert Pilot, feront leur attachement à une observation directe.

Robert Pilot, En attendant le bac, 1927. Huile sur toile

Robert Pilot, En attendant le bac​, 1927. Huile sur toile, 46 × 61 cm. Collection particulière, Toronto.

La disponibilité de salles d’exposition, la couverture de presse et leur formation auraient dû ouvrir à ces peintres une lucrative carrière locale, mais beaucoup d’entre eux ont eu des départs difficiles. Au début de la Première Guerre mondiale, ils doivent s’adapter à une culture, une économie et une société qui changent rapidement. Ils continuent néanmoins d’animer la scène en participant régulièrement aux expositions annuelles de l’Académie royale des arts du Canada, de la Société des Arts de Montréal, de l’Ontario Society of Artists, de la Toronto Industrial Exhibition et du Canadian Art Club, devant parfois surmonter les commentaires d’une poignée de critiques avertis. L’esthétique impressionniste séduit cependant moins et une nouvelle ère de l’art canadien débute en 1920 avec la création de deux communautés d’artistes : Le Groupe des Sept de Toronto et le Groupe de Beaver Hall, à Montréal. L’arrivée du postimpressionnisme, du fauvisme et de l’Art nouveau ajoute au vocabulaire visuel de cette génération d’artistes, amorçant la première vague du modernisme dans les arts au Canada.

Lawren S. Harris, Neige II, 1915 et Prudence Heward, Anna, v.1927. Huile sur toile

Lawren S. Harris, Neige II, 1915. Huile sur toile, 120.3 x 127.3 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. © Famille de Lawren S. Harris; Prudence Heward, Anna, v. 1927. Huile sur toile, 91.6 x 66.4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photos : MBAC

Les membres du Groupe des Sept redéfinissent alors la notion de paysage; le pays de leurs œuvres est épuré de ses détails topographiques superflus, leur regard est moderne. De son côté, le Groupe de Beaver Hall à Montréal observe la modernité qui s’installe dans la vie des villes et des banlieues du Québec. Les rues couvertes de neige des toiles de John Y. Johnstone et de Joseph-Charles Franchère ou les traîneaux omniprésents dans celles de Kathleen Moir Morris permettent de se faire une idée du rythme de la vie dans la cité. À Toronto, des artistes comme Lawren S. Harris et J.E.H. MacDonald s’intéressent un temps au cœur de la ville pour montrer ce qui y change et mettre en opposition l’opulence de la vie de certains quartiers et la pauvreté de leur voisinage. Les mondes ruraux et urbains ne sont en rien des sujets neufs pour l’art canadien de l’époque, mais la gamme variée des œuvres impressionnistes enrichit considérablement l’art colonial du Canada. Plutôt que de trouver refuge dans des techniques et des styles empruntés, les artistes cherchent alors des solutions nouvelles pour peindre en remettant en question les normes admises de l’art académique.

Le Canada et l’impressionnisme. Nouveaux horizons se focalise sur une époque et des lieux au Canada où les postulats impressionnistes prennent racine dans l’esprit des peintres modernes du pays, lesquels les utiliseront pour transformer la représentation de l’existence humaine et de la nature. Le recours à différents motifs fait ainsi émerger une forme d’art vue comme un symbole de modernité au Canada.

 

Le Canada et l’impressionnisme. Nouveaux horizons est à l'affiche au Musée des beaux-arts du Canada jusqu'au 3 juillet 2022. Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.

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