Livres produits par la Kelmscott Press : la donation Douglas Schoenherr

William Morris , « Fruit » papier peint, Morris, Marshall, Faulkner & Co., 1864; et John Henry Dearle , « Golden Lily » papier peint, Morris & Company, 1897. Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Don de Douglas Schoenherr. Photo : MBAC Bibliothèque et Archives.
Une sélection de livres et de documents éphémères connexes publiés par la Kelmscott Press – qui font tous partie du don récent de feu Douglas Schoenherr – est actuellement présentée à Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada. Expert de l’art britannique du XIXe siècle, Schoenherr a été conservateur au Département des estampes et dessins du Musée de 1986 à 1997. Son don, qui comprend également un grand nombre d’autres ouvrages de sa bibliothèque personnelle relatifs à William Morris et Edward Burne-Jones (1833–1898), complète celui qu’il avait déjà effectué avec The Works of Geoffrey Chaucer (1896), réalisation la plus emblématique de Kelmscott Press, ainsi qu’une collection d’échantillons de papier peint produits par Morris & Company. Trois de ceux-ci sont exposés en compagnie des volumes de la Kelmscott.
La Kelmscott Press a été fondée en 1891 dans le quartier de Hammersmith, à Londres, par William Morris (1834–1896), romancier, poète et figure influente du mouvement Arts and Crafts en Grande-Bretagne. Morris avait conçu une certaine amertume devant l’abaissement des normes lié à la production mécanisée des livres et il cherchait à redonner la part belle à la technique d’impression manuelle maîtrisée au XVe siècle par des imprimeurs comme William Caxton (v. 1422–1492). Comme Morris l’écrira plus tard, les livres « seraient une affirmation claire de la beauté, sans pour autant […] éblouir l’œil ou déranger l’esprit du lecteur par l’excentricité de la forme des lettres. J’ai toujours été un fervent admirateur de la calligraphie du Moyen Âge et de l’imprimerie ancienne qui a pris sa suite. »
Morris insistait pour que tous les éléments d’un ouvrage de la Kelmscott – y compris la reliure, le papier, l’encre, les caractères typographiques et les illustrations – reflètent son idéal esthétique d’une conception intégrée. La plupart étaient imprimés sur du papier lin fait main, tandis que l’encre épaisse et noire privilégiée par Morris était faite de matières traditionnelles sans additifs chimiques. C’est Morris lui-même qui a conçu les trois polices de caractères utilisées dans les livres de la Kelmscott, soit la Golden, la Troy et la Chaucer.

Lettrine dans Edmund Spenser, The Shepheardes Calendar: Contayniing Twelve Aeglogues, Proportionable to the Twelve Monethes et lettrine dans Geoffrey Chaucer, The Works of Geoffrey Chaucer. Kelmscott Press, 1896. Photo : MBAC Bibliothèque et Archives
La production d’un livre de la Kelmscott était un procédé collaboratif. Outre les polices, Morris était responsable des pages de titre, des lettrines et des bordures. Pour les ouvrages illustrés, il commandait des créations à des artistes tels Walter Crane (1845–1915), Arthur J. Gaskin (1862–1928) et Charles Gere (1869–1957). Le plus souvent, cependant, il faisait appel à Edward Burne-Jones, membre en vue du mouvement préraphaélite en Angleterre, qui a ainsi réalisé des dessins pour onze des quatorze volumes de la Kelmscott comportant des images. Lorsque les dessins étaient aboutis, ils étaient transférés par procédé photographique sur plaque de bois et gravés à la main, habituellement par William Harcourt Hooper (1834–1912). Les ouvrages étaient imprimés en tirage limité sur des presses à bois Albion, avec généralement de 200 à 500 exemplaires sur papier et de 6 à 12 sur vélin.
Les ouvrages de Kelmscott Press donnés par Schoenherr offrent une excellente vue d’ensemble des activités de la maison d’édition, à commencer par le premier livre publié, un roman fantastique de Morris intitulé The Story of the Glittering Plain (1891). Ce dernier devait à l’origine être agrémenté d’illustrations de Walter Crane, mais, pressé de publier un premier titre, Morris a abandonné l’idée au profit d’un volume plus petit comprenant bordures et lettrines, mais pas de dessins. Trois ans plus tard, il a sorti le livre tel qu’imaginé au départ, dans un format plus grand, ce qui en fait le seul ouvrage de la Kelmscott Press imprimé deux fois.

Jacobus de Voragine, The Golden Legend, traduction de William Caxton. Kelmscott Press, 1892. Photo : MBAC Bibliothèque et Archives
Le premier livre illustré de la Kelmscott avait pour titre The Golden Legend, publié en trois volumes en 1892. Recueil du XIIIe siècle sur la vie des saints traduit en anglais par William Caxton en 1483, l’ouvrage avait compté parmi les plus lus dans l’Europe médiévale et était l’un des préférés de Morris. Outre une abondante variété de bordures et lettrines, le livre présentait la toute première page de titre conçue par lui-même, ainsi que deux illustrations à la gravure sur bois de la main de Burne-Jones, une première collaboration avec la maison d’édition.
Les publications de la Kelmscott différaient en longueur et en niveau d’ornementation. Des livres comme Gothic Architecture: A Lecture for the Arts and Crafts Exhibition Society (1893) et Of the Friendship of Amis and Amile (1894), tous deux écrits par Morris, étaient caractéristiques des petits formats produits par l’éditeur. L’un comme l’autre avait bordures et lettrines, mais pas d’illustrations. La maison publiait trois catégories d’ouvrages : des œuvres écrites par Morris, des textes médiévaux anglais et des classiques de la littérature britannique dont Morris affectionnait les auteurs. Au nombre de ces derniers se trouvaient Alfred Lord Tennyson (1809–1892), Algernon Charles Swinburne (1837–1909), Percy Bysshe Shelley (1792–1822) et Dante Gabriel Rosetti (1828–1882).

William Morris, The Well at the World's End, Kelmscott Press 1896. Photo : MBAC Bibliothèque et Archives
Si c’est à Burne-Jones que l’on doit l’essentiel des images pour la plupart des livres de la Kelmscott, une exception notable est The Shepheardes Calendar: Conteyning Twelve Aeglogues, Proportionable to the Twelve Monethes (1896), qui comprenait douze illustrations de l’artiste de Birmingham Arthur J. Gaskin. Ce dernier recevra une seconde commande de la Kelmscott Press, des dessins pour The Well at the World’s End (1896), mais Morris, insatisfait de la production, demandera à Burne-Jones de reprendre le travail. Le résultat est l’un des volumes les plus aboutis publiés par la Kelmscott, Burne-Jones réalisant quatre illustrations, et Morris la page de titre, les bordures et les lettrines.
The Works of Geoffrey Chaucer a été de loin le projet le plus ambitieux et significatif de l’éditeur, mené à bien quelques mois seulement avant le décès de Morris en octobre 1896. Le livre, dont la réalisation a nécessité quatre années, compte 87 illustrations de Burne-Jones, une page de titre à la gravure sur bois, 14 grandes bordures, 18 cadres pour les images et 26 lettrines de la main de Morris. Tiré dans une édition de 425 volumes sur papier et de 13 sur vélin, l’ouvrage est largement reconnu comme un chef-d’œuvre en matière de conception graphique. L’exemplaire du Musée est relié par le célèbre atelier londonien Sangorski & Sutcliffe.

Geoffrey Chaucer, The Works of Geoffrey Chaucer, Kelmscott Press, 1896. Photo : MBAC Bibliothèque et Archives
La Kelmscott Press a continué à publier après la mort de Morris, sortant 11 titres, dont une édition en huit volumes de The Earthly Paradise de Morris en 1896–1897 et The Story of Sigurd the Volsung and the Fall of the Niblungs, poème épique sur l’amour et la trahison, du même auteur, en 1898. Le travail sur ce dernier avait commencé en 1895, et il comprend donc des lettrines et bordures conçues par Morris. Burne-Jones a réalisé deux illustrations pleine page.
Kelmscott Press a cessé ses activités en 1898, après la publication de 53 titres. Le dernier ouvrage imprimé a été A Note by William Morris on His Aims in Founding the Kelmscott Press. Vouée à l’atteinte des normes les plus exigeantes de qualité tout au long de son cheminement relativement court dans le temps, l’« aventure typographique » entreprise par Morris a été une remarquable réussite, avec la création de certains des plus beaux ouvrages jamais imprimés, redonnant ses lettres de noblesse à l’idée du livre comme œuvre d’art et pavant la voie à l’essor des maisons d’édition indépendantes qui a marqué l’Angleterre à la fin des années 1890 et au début des années 1900. Le généreux don par Douglas Schoenherr des livres de la Kelmscott est l’occasion d’explorer plus avant ce legs extraordinaire.
Magnifique et précieuse : la donation Douglas Schoenherr de livres publiés par Kelmscott Press est à l’affiche à Bibliothèque et Archives du Musée des beaux-arts du Canada. Jusqu’au 18 juin 2023. Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.