Lucius R. O'Brien, Lever du soleil sur le Saguenay, cap Trinité, 1880, huile sur toile, 90 x 127 cm, Morceau de réception à l'Académie royale des arts du Canada, déposé par l'artiste, Toronto, 1880. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

Dix choses à savoir sur les nouvelles salles d’art canadien et autochtone

Le Musée des beaux-arts du Canada lèvera très prochainement le voile sur la magnifique présentation qui animera ses salles d’art canadien et autochtone récemment transformées. Réunissant près de 800 œuvres datant de 5 000 ans jusqu’en 1967, Art canadien et autochtone : des temps immémoriaux jusqu’en 1967 renouvelle l’approche des richesses culturelles de ce territoire en fusionnant art autochtone et art canadien.

Dès la première salle, les espaces sont plus ouverts et les couleurs des murs, plus audacieuses. Des vitrines aérées mettent en vedette des œuvres exceptionnelles. Si le nouvel aménagement comprend des œuvres bien connues des visiteurs réguliers, il met aussi en vedette une grande variété de tableaux, de sculptures, d’estampes, de photos et d’objets d’arts décoratifs qui n’ont encore jamais été exposées dans ces salles.

William Brymner, Une gerbe de fleurs, 1884 huile sur toile, 122.5 x 142.7 cm. Morceau de réception à l'Académie royale des arts du Canada, déposé par l'artiste, Ottawa, 1886. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

 

Voici dix choses à retenir des nouvelles salles d’art canadien et autochtone.

 

Des cérémonies de purification  

Plusieurs cérémonies de purification ont été célébrées dans ces espaces rénovés avant même d’y installer des œuvres. Des membres de la Première Nation ont fait brûler de la sauge dans les salles, imprégnant l’atmosphère d’une douce odeur. À l’occasion de ce rituel ancien destiné à nettoyer et purifier des lieux, des objets ou des personnes, un Aîné tient un bol ou une coquille où brûlent des plantes médicinales sacrées, éventant la fumée avec une plume d’aigle. Le Musée des beaux-arts se trouve sur le territoire traditionnel Kitigan Zibi.

La collection d’art autochtone ancien du Musée étant relativement petite, les conservateurs ont sollicité des prêts temporaires d’autres musées et collectionneurs du Canada et d’autres pays, comme en témoigne par exemple le remarquable Raven Sun masque double prêté par le Musée canadien de l’histoire.

 

Reconnaissance et mise en valeur de la diversité régionale

Ce vaste pays qu’est le Canada se distingue par ses centaines de communautés autochtones, métis et inuites, ses deux anciennes cultures de colonisateurs, sa riche histoire d’immigration de pays du monde entier et sa géographie éminemment variable. Tous ces facteurs concourent à une production artistique diversifiée. Des Béothuks de Terre-Neuve aux Haïdas de la côte Ouest et aux sculpteurs inuits de l’Arctique, des peintres de marines de la Nouvelle-Écosse aux artistes paysagers du Haut-Canada, des Automatistes du Québec aux Régionalistes de London (Ontario), toute l’ampleur de cette variété culturelle se reflète dans les œuvres de ces nouvelles salles.

Inconnu (Artiste inuit), Homme dans un kayak, (v. 1900-1960)

 

Un Salon canadien aux murs pratiquement couverts de tableaux, du sol au plafond

L’accrochage de style salon remonte aux années 1670, une époque où l’Académie royale de peinture et de sculpture de Paris organisait les premières expositions de tableaux de ses élèves au Louvre. Pour pouvoir réunir toutes ces œuvres dans une même pièce, il fallait cependant couvrir les murs. Au fil des années, le Salon est devenu un lieu de mixité entre les artistes et leurs publics variés.

La présentation des tableaux regroupés dans un espace central des salles d’art canadien et autochtone respecte ce style salon et souligne la diversité des genres et des sujets des peintres canadiens de la fin du XIXe siècle et du début du XXsiècle, entre autres William Brymner, Ozias Leduc, James Wilson Morrice et Marc-Aurèle de Foy Suzor-Coté.

Un canot en écorce de bouleau occupe le centre du Salon canadien. Prêté par le Musée canadien du canot de Peterborough (Ontario), il atteste l’importance du thème de la nature sauvage dans l’art de cette époque et rappelle la contribution des peuples autochtones à l’exploration européenne de ce vaste territoire.

 

L’Atrium Koerner transformé en jardin de sculptures

Avec son bassin d’eau au fond vitré et ses immenses puits de lumière, l’Atrium Michael and Sonja Koerner Family est l’un des plus beaux espaces du Musée. S’il n’abritait jusqu’à présent que quelques sculptures, le nouveau mur flottant situé sur un de ses côtés lui permet aujourd’hui d’accueillir une sélection bien plus importante de sculptures de bronze de Louis-Philippe Hébert et d’Alfred Laliberté datant de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, ainsi qu’une installation de Michael Belmore, Voile de mariée perdu (2015). L’endroit est idéal pour contempler des œuvres dans leur globalité.

 

Donner aux femmes la place qui leur revient de droit

Dans son ouvrage accompagnant l’inauguration des salles d’art canadien et autochtone, le directeur du Musée, Marc Mayer, regrette la négligence des livres d’histoire du Canada à l’égard des premières femmes artistes du ce pays. Il écrit : « Les versions qui font autorité passent sous silence le formidable travail des religieuses expérimentées en art qui ont elles aussi décoré les premières églises coloniales du Canada. Plus compétentes dans leurs métiers que leurs collègues prêtres – qui, pour la plupart, s’improvisaient peintres et sculpteurs. » Marc Mayer fait remonter cette tendance ségrégationniste à la Renaissance, une époque où la peinture et la sculpture étaient considérées comme des formes d’art plus importantes que les arts décoratifs pratiqués par les femmes.

Soucieux de rétablir les faits, le Musée a placé au cœur de plusieurs présentations des œuvres réalisées par des femmes. Avec ses volutes raffinées de fils d’or et d’argent, le parement d’autel délicatement brodé par Marie Lemaire des Anges et prêté par le Musée des Ursulines de Québec est un merveilleux exemple du genre. De plus, une salle largement réservée aux femmes artistes du Groupe de Beaver Hall de Montréal, dont Prudence Heward, Anne Savage et Sarah Robertson, propose aussi une présentation monographique d’Emily Carr. Un peu plus loin, l’exposition de chaussures prêtées par le Bata Shoe Museum souligne le génie du perlage des femmes autochtones telles que l’artiste dogrib Margaret Football, l’artiste Joan Elise Tsetso de la bande de Fort Simpson et l’artiste Joyce Growing Thunder Fogarty des Sioux Assiniboines.

Prudence Heward, Femme sur une colline, 1928, huile sur toile, 101.8 x 94.6 cm. Acheté en 1929. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

 

Emploi des langues autochtones dans les textes

Les cartels d’un grand nombre d’œuvres autochtones sont rédigées en anglais et en français, mais aussi dans la langue de la communauté de l’artiste — anishnaabée, pied-noire, gwich’in, etc. 

 

Réunion d’objets d’art liés aux potlatchs et de tableaux de l’Académie royale du Canada

Fondée peu après la Confédération, l’Académie royale des  arts du Canada est un organisme officiel voué à la promotion du plus haut degré d’excellence artistique au Canada. À la même époque, le gouvernement canadien décidait d’interdire certaines cérémonies autochtones fondamentales dont le potlatch, une importante cérémonie traditionnelle favorisant la création et l’utilisation d’œuvres d’art exceptionnelles. Pour le premier ministre John A. MacDonald, les potlatchs étaient des obstacles à la « civilisation » et à l’assimilation des peuples autochtones. Beaucoup d’artistes autochtones ont alors disparu dans la clandestinité ou trouvé des moyens de produire des œuvres pour les marchés touristiques en pleine expansion.

Dans les nouvelles salles, les œuvres d’art associées aux potlatchs sont replacées dans le contexte artistique du XIXe siècle et côtoient des tableaux d’académiciens.

 

Un mur pour les riches études de ciels de Tom Thomson

Si l’année 2017 marque le 150e anniversaire de la Confédération, elle marque aussi le centenaire de la mort de Tom Thomson. Dans une salle, un mur entier rend hommage à l’artiste en présentant plusieurs de ses derniers tableaux dont le célébrissime Le pin (1916–1917). Le mur opposé regroupe uniquement de merveilleuses études de ciels de Thomson, des petites huiles sur isorel peintes en plein air.

Tom Thomson, Ciel au coucher du soleil, 1915, huile sur panneau de fibres gris, 21.6 x 26.7 cm. Acheté en 1918. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

 

Nouvelle rencontre entre sculptures inuites et Borduas

Le Musée des beaux-arts du Canada collectionne de l’art inuit depuis son apparition sur le marché de l’art dans les années 1950, mais il a toujours séparé la présentation de cet art de celle des grandes tendances de l’art canadien. Aujourd’hui les sculptures, œuvres sur papier et vidéos inuites côtoient les œuvres abstraites produites à la même époque par d’autres artistes canadiens. Selon Christine Lalonde, conservatrice associée de l’art indigène, cette juxtaposition rappelle une époque dynamique de l’histoire de l’art au Canada : « Nous présentons les œuvres comme elles l’étaient à l’époque, dit-elle à Magazine MBAC. Si vous vous promeniez dans les rues de Montréal, vous pouviez voir un Borduas dans la vitrine d’une galerie et une sculpture de Johnny Inukpuk dans la suivante. »

Les fascinantes photos modernistes de l’artiste de Vancouver John Vanderpant et d’autres praticiens du milieu du siècle sont présentées un peu plus loin, et des images réalisées par certains des photographes canadiens les plus influents sont intégrées un peu partout dans les salles. Qu’il s’agisse des portraits en studio du prolifique William Notman, des clichés des premières expéditions ou des images du photographe des armées William Rider-Rider, toutes ces œuvres contribuent à offrir un récit plus complet de l’art au Canada.  

 

Des œuvres cinématographiques dans une salle de style boîte noire

Dans les années 1960, Joyce Wieland, Michael Snow et Norman McLaren ont expérimenté divers procédés dont le cinéma. Le Musée propose aujourd’hui de découvrir quelques-unes de leurs œuvres dans une salle de projection particulière. Un espace à proximité est consacré aux peintures et aux installations de Joyce Wieland et de Michael Snow, deux des plus grands artistes canadiens de l’après-guerre.

 

En entrevue avec Magazine MBAC, Katerina Atanassova, conservatrice principale de l’art canadien au Musée, décrit la vision qui sous-tend cet ambitieux projet de réinstallation. « Le but est de renforcer la pertinence et l’accessibilité de la collection nationale pour le public du XXIsiècle, de favoriser un dialogue plus ouvert sur les œuvres de la collection, mais aussi sur l’histoire des arts du Canada. Les néophytes, ceux qui viennent pour la première fois, ne doivent surtout pas être intimidés, il faut qu’ils apprécient les œuvres d’art même s’ils ne lisent pas les cartels, même s’ils font de leur visite une simple expérience visuelle et se contentent de contempler les œuvres. C’est aussi simple que ça. »

Pour Verna McGregor, une aînée kitigan zibi, les nouvelles salles sont l’occasion de mieux connaître la culture autochtone. Comme celle-ci l’a indiqué à Magazine MBAC après une cérémonie de purification : « Avec un peu de chance, nous pourrons être mieux informés au cours des 150 prochaines années. »

Il ne fait guère de doute que la nouvelle approche que proposent les salles d’art canadien et autochtone est une excellente façon d’enrichir les visiteurs du monde entier en leur permettant de mieux comprendre toute la diversité du patrimoine culturel de ce territoire.  

 

Art canadien et autochtone : des temps immémoriaux jusqu’en 1967 sera inaugurée dans les salles d’art canadien et autochtone du Musée des beaux-arts du Canada le jeudi 15 juin, pour un vernissage gratuit qui durera toute la journée, de 9 h 30 à 21 h 30.

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