Le Musée des beaux-arts du Canada présente un demi-siècle d’art contemporain canadien
Fraîchement rénovées et repensées, les salles d’art contemporain canadien du Musée des beaux-arts du Canada ont rouvert leurs portes juste à temps pour cette saison du renouveau.
Art canadien et autochtone : de 1968 à nos jours débute là où s’arrêtent les nouvelles salles d’art canadien et autochtone (qui rouvriront le 15 juin 2017). Réunissant une série d’œuvres d’art contemporain canadien les plus fascinantes des cinquante dernières années, elle met en vedette de nombreux noms connus tout en réservant quelques surprises à ses visiteurs.
Nouvellement organisées en salles thématiques réparties sur deux étages, les œuvres sont aussi bien des créations des vedettes de l’art moderne et du début de l’art contemporain telles que Joyce Wieland, Carl Beam et Gathie Falk que des sculptures, photos, installations et dessins plus récents d’artistes célèbres, notamment Shary Boyle, Shelley Niro, Geoffrey Farmer et Michael Massie.
Soigneusement pensées par une équipe de conservateurs du MBAC, les salles proposent un aperçu narratif très réfléchi de l’art contemporain canadien. L’éventail complet de la pratique artistique canadienne des cinquante dernières années y est merveilleusement exploré sous des thèmes tels que Portraits et paysages en photographie et en vidéo ou Après le Minimalisme et l’Art conceptuel, offrant ainsi quelque chose à chacun.
Bien que la présentation suive en gros un fil chronologique, les salles se juxtaposent de telle façon que les visiteurs ne pourront manquer de faire des liens intéressants. Ainsi découvriront-ils dans la série d’espaces adjacents situés au centre des salles d’art contemporain du premier étage une peinture de Carl Beam, L’iceberg nord-américain (1985), une vidéo de Rebecca Belmore, The Named and the Unnamed (2002), une vidéo de Stan Douglas, Nu’tka’ (1996), puis, au final, la structure impressionnante du bateau déconstruit de Beam, Voyage (1988).
La plus forte intégration de perspectives autochtones dans une vaste gamme de disciplines et de mouvements artistiques est l’un des points les plus significatifs de la nouvelle exposition. Cette approche signifie la présence de plusieurs œuvres très prisées du public qui étaient auparavant exposées dans les salles d’art inuit. Celles-ci sont plutôt regroupées dans une des salles d’art contemporain du second étage consacrée à l’Art inuit récent où l’éblouissante sculpture de pierre et de bois de caribou réalisée par feu Jackoposie Oopakak, Nunali (v. 1988–1989), accueille les visiteurs.
Comme le note Christine Lalonde, conservatrice, Art indigène au MBAC : « C’est une véritable vision du monde que renferment les gracieuses formes arquées de cette paire de bois. […] Oopakak déploie une éblouissante maîtrise de la sculpture dans le travail de cette matière friable, et son expertise en joaillerie sert ici la précision et la complexité des détails. » Ce classique d’Oopakak est entouré de dessins récents, notamment Congélateur de Cape Dorset (2005) d’Annie Pootoogook et, entre autres nouvelles œuvres expérimentales, une céramique de John Kurok et Leo Napayok intitulée Manteau de rêves (2006).
Même approche dans la salle Les réalisations des femmes artistes des années 1970 aux années 1990 où des estampes d’importantes matriarches, telle la délicieuse gravure de Jessie Oonark, Mes mains sont pareilles à des oiseaux (1984), ou Katajaktuit (Rencontre des chanteuses de gorge) (1991) de Kenojuak Ashevak, côtoient les impressions de plâtre du corps humain réalisés par Colette Whiten, Septembre 1975 (1975), et l’installation photographique de Geneviève Cadieux, Trou de mémoire (1988). Parlant de la gravure sur pierre de Jessie Oonark, Greg Hill, conservateur principal Audain, Art indigène au MBAC, écrit : « Dans cette œuvre ludique, Oonark prête la forme de mains à des corps d’oiseaux et dote deux d’entre eux de têtes humaines. L’estampe révèle toute l’énergie créatrice qui anime l’artiste. »
Dans la salle Lieu vécu : Peintures des années 1980 aux années 2000, la toile monumentale de Norval Morrisseau prêtée par Affaires autochtones et du Nord Canada, Androgynie (1983), est exposée à côté d’œuvres d’artistes tels que Landon Mackenzie, Shirley Wiitasalo et Lawrence Paul Yuxweluptun. Parlant de Terre brûlée, coupe à blanc en territoire amérindien. Le chaman vient en aide (1991) de Yuxweluptun, Greg Hill explique : « La peinture de Yuxweluptun se nourrit de diverses influences, intégrant notamment les expériences contemporaines des populations autochtones, la cosmologie salish de la côte, l’esthétique de la côte du Nord-Ouest et les traditions paysagistes occidentales. Ici, le chaman rouge observe la terre dévastée tandis que les éléments du paysage, flétris, effondrés, pleurent derrière lui. »
Au second étage, la salle Dessins d’un océan à l’autre à l’autre regroupe de captivantes œuvres sur papier dont d’impressionnantes aquarelles et gouaches peintes par Simon Hughes en 2011, Périurbanisation boréale no 1, Périurbanisation boréale no 2 et Périurbanisation boréale no 3, un dessin au crayon de Shuvinai Ashoona, Les mondes sur un champ de glace (2012) et un dessin à l’encre et acrylique de Jason McLean presque assimilable à un monologue intérieur frénétique Match décisif pour la classe ouvrière (2010). Comme le remarque Rhiannon Vogl, conservatrice associée, Art contemporain au MBAC, l’œuvre cartographie « à la fois l’espace physique et mental » et « regorge de références à l’histoire de l’art canadien, aux statistiques sportives, ainsi qu’au combat quotidien de McLean avec des troubles de santé mentale. »
L’exposition met aussi en relief plusieurs remarquables installations et œuvres sculpturales. Bien que les deux squelettes monumentaux de baleine composés de chaises de plastique de Brian Jungen, Transmutation (2000) et Vienne (2003), soient effectivement des sculptures phare, la même constatation s’applique à d’autres œuvres telles que Remorque (2002) de Geoffrey Farmer, une réplique grandeur nature d’une remorque utilitaire, Je suis la pièce de Micah Lexier, une œuvre époustouflante composée de 20 000 pièces de monnaie, et Contrefort parasite (2005) de Luanne Martineau. Évoquant cette sculpture de feutre et de matelas mousse, Josée Drouin-Brisebois, conservatrice principale, Art contemporain au MBAC, affirme : « Contrefort parasite entremêle culture savante et culture populaire : les matériaux d’artisanat traditionnels sont associés à une imagerie fantastique inspirée de la bande dessinée et à des lignes verticales qui rappellent Voix de feu (1967) de Barnett Newman. Contrairement à l’élément d’architecture évoqué dans son titre, cette sculpture descend le long du mur pour se déployer sur le plancher, constituant une intervention viscérale dans l’austère espace blanc du musée. »
Et bien sûr, aucun panorama de l’art contemporain canadien des cinquante dernières années ne serait complet sans General Idea. L’exposition propose des œuvres aussi emblématiques que Lundi, mercredi, samedi (1984), Drapeau de Gand (1984) et la vidéo avant-gardiste Shut the Fuck Up (1985) à propos de laquelle Adam Welch, conservateur associé, Art canadien au MBAC, écrit : « Le groupe explore ici les liens entre l’art, le spectacle, les commérages et les médias et intègre des extraits de films et d’émissions de télévision des années 1960, notamment une longue scène de la série télévisée Batman parodiant la peinture abstraite et une performance de l’artiste français Yves Klein, filmée dans Mondo Cane (1962). »
Le moins que l’on puisse dire est que la conception d’une exposition bilan intégrant de multiples artistes d’art contemporain canadien des cinquante dernières années relève de la gageure. Pour les passionnés d’art canadien en revanche, non seulement la nouvelle rétrospective Art canadien et autochtone : de 1968 à nos jours offre-t-elle un point de vue éloquent sur les principaux axes de ces formes d’art, mais elle donne envie d’en savoir plus.
Art canadien et autochtone : de 1968 à nos jours est actuellement à l’affiche au Musée des beaux-arts du Canada. Art canadien et autochtone. Des temps immémoriaux jusqu’en 1967 ouvrira le 15 juin 2017.