Art et culture inuits en dialogue
Étant moi-même autrice plutôt qu’artiste, j’ai sans doute une vision subjective, mais je crois qu’au cœur de toute forme d’art réside l’envie de raconter des histoires. Alors que le projet Mobilizing Inuit Cultural Heritage (MICH) arrive à la fin de sa huitième année, son soutien et son financement ont permis de donner voix à de nombreux récits positifs. Le XXIe siècle a vu se produire de multiples transformations sociales sur une courte période, et les collectivités inuites ne sont pas restées en marge de ces changements. Au Canada, un accent particulier a commencé à être mis sur la représentation autochtone dans de nombreux domaines, notamment les arts et la programmation culturelle. Le projet MICH est né d’un désir de susciter des relations avec les peuples autochtones et de créer un espace permettant aux Inuits de jouer un rôle primordial dans les secteurs des arts et des communications. Il a vu le jour en partie grâce à une prise de conscience de plus en plus grande quant à l’importance des savoirs culturels fondamentaux et à une réflexion critique sur la manière dont les non-Inuits pourraient pleinement comprendre la culture inuite alors que les points de vue inuits demeurent écartés de la conversation.
Le projet MICH a obtenu une subvention de partenariat du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) orientée sur la contribution de la culture visuelle, l’art et la performance inuits à la préservation de la langue, au bien-être collectif et à l’identité culturelle. Avec ses partenaires – comme le Nunavut Arctic College, Qaggiavuut et le Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) –MICH a appuyé des projets donnant une résonance aux voix et perspectives inuites. Cela inclut des activités de recherche, de création et de muséologie liées à la sculpture, au jeu vidéo, au conte, à la musique, à l’artisanat, à la gravure, à la performance, à l'œuvre numérique, à l’archivistique, à la compilation de bases de données et à la conservation de la connaissance audiovisuelle. Ses initiatives et collaborations ont pris la forme de colloques, de conférences, d’installations numériques, de festivals d’art et de musique, ainsi que d’événements tels le Festival des arts du Grand Nord à Inuvik et Arctic Art en Islande.
Avant le projet MICH, avait existé Breaking the Boundaries of Inuit Art: new contexts for cultural influence (2008–2011), projet financé par le CRSH, qui, en 2011, avait établi des liens avec Alianait!, le festival de musique annuel d’Iqaluit, dans le but d’attirer plus de musiciens de partout dans le monde. L’événement a grandi jusqu’à devenir un festival international de musique très prisé, qui a annoncé la nomination de sa première directrice générale inuite l’an passé. Lors du lancement de MICH en 2012, sa principale chercheuse Anna Hudson et ses collègues, la commissaire Heather Igloliorte et la conservatrice du MBAC Christine Lalonde, ont commencé avec de petits projets élaborés avec des artistes inuits, dont Nelson Tagoona, Laakkuluk Williamson Bathory et Taqralik Partridge, dans la thématique des arts de la performance et des initiatives muséologiques.
Parmi les expositions, on notera SakKijâjuk, organisée par Igloliorte, mettant en relief les arts inuits de la région du Nunatsiavut, première sur ce thème à être mise en tournée à travers le pays. En 2014, MICH a soutenu financièrement le voyage et la participation d’artistes inuits au Festival des arts du Grand Nord, et a participé aux Contributions financières destinées aux artistes du Nord à travers le Conseil des arts des T.N.-O. L’appui financier de MICH a également facilité la réalisation de projets entre artistes et commissaires inuits de la relève et de créateurs plus aguerris, comme avec l’exposition emblématique Tunirrusiangit: Kenojuak Ashevak and Tim Pitsiulak présentée au Musée des beaux-arts de l’Ontario (AGO) en 2018. La commissaire, autrice et cinéaste Jocelyn Piirainen a collaboré avec d’autres créateurs, conservateurs et intellectuels inuits, comme Koomuatuk (Kuzy) Curley, Taqralik Partridge, Georgiana Uhlyarik et Laakkuluk Williamson Bathory, pour mettre en valeur le travail des artistes de renommée internationale Ashevak et Pitsiulak. La première grande rétrospective consacrée à Pitsiulak a aussi inauguré la présentation d’art inuit dans le pavillon Sam et Ayala Zacks, plus grand espace d’exposition de l’AGO. Piirainen a depuis intégré l’équipe de muséologie du Musée des beaux-arts de Winnipeg en tant que conservatrice adjointe de l’art inuit.
Les premiers projets de MICH avaient une nature résolument exploratoire, l’idée étant de créer des occasions pour les non-Inuits de s’ouvrir grâce aux Inuits à des perspectives nouvelles. Ces initiatives facilitaient l’accès de ces derniers à d’importants artéfacts artistiques et vestiges historiques permettant de nouer avec le passé une relation à la fois authentique et viscérale. Parmi elles, on trouve notamment des collaborations avec de nombreux groupes, dont le Mittimatalik Arnait Miqsuqtuit Collective (MAMC) et le Collectif des commissaires autochtones. Le fait de voir les créateurs inuits mis en valeur et respectés dans les expositions et les médias a un effet certain sur toutes les générations, des plus jeunes qui en apprennent davantage sur leur propre identité aux plus âgés qui ont vécu la dynamique d’annihilation de notre culture.
Année après année, projets et partenariats se sont élargis, offrant un accès toujours plus grand à un nombre accru d’artistes et de collaborateurs inuits. La iNuit Blanche de 2016, à St. John’s, Terre-Neuve-et-Labrador, a été le premier festival artistique multimédia et multidisciplinaire inuit sur une nuit entière dans le monde. Il a eu lieu durant le Congrès d’Études Inuit, organisé à la Memorial University, et est devenu un rendez-vous annuel en marge du congrès, à l’exception de l’an dernier pour cause de pandémie de COVID-19. La proposition et la création de la sculpture monumentale Ahqahizu par Koomuatuk (Kuzy) Curley et Ruben Komangapik – à York University en 2016 – ont constitué un premier projet d’art public de grande ampleur mené par des Inuits.
Il y a, au cœur du projet MICH, cette notion de mettre en relation les univers du Nord et du Sud du Canada. Il reste certes de nombreux défis en termes de communications et de numérique pour améliorer l’accès à Internet et aux médias électroniques dans les communautés nordiques et éloignées. Nombre des réalisations financées par MICH, cependant, ont permis aux artistes et intervenants culturels inuits de jouer un rôle de premier plan dans la recherche de solutions pour combler ces lacunes, tant entre les Inuits du Nord et leurs homologues urbains qu’entre les Inuits et non-Inuits qui souhaitent explorer l’art et la culture traditionnelle dans ses dimensions inuite et inuvialuite.
L’expression créative inuite a pendant bien des années été réifiée et contrôlée par les caprices des consommateurs d’art du Sud. Les projets soutenus par MICH ont été choisis pour passer à autre chose et donner l’agentivité nécessaire aux Inuits pour qu’artistes et individus puissent mener un travail de création qui soit à la fois accessible et significatif, tout en enrichissant les communautés artistiques de liens culturels approfondis.
Suivez ces liens pour découvrir plus avant le projet Mobilizing Inuit Cultural Heritage et l’exposition SakKijâjuk. Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.