Des perspectives différentes : la diversité en restauration d'art
Déambuler dans un musée ou une galerie d’art m’a toujours paru un privilège. Prendre le temps d’y circuler en réfléchissant à comment et pourquoi tel objet a été créé, avec quels matériaux, est une expérience inouïe qui devrait être donnée à tous. La profession de restaurateur d’art donne une autre dimension à ce privilège et comble l’intérêt des curieux de l’arrière-scène qui désirent comprendre et employer leur expertise à établir un diagnostic ou convenir de mesures de conservation.
La restauration est une discipline d’ensemble, aux confins de l’histoire de l’art et de la science. Basée sur l’éthique et la résolution de problème, elle requiert une habileté manuelle permettant de prendre soin d’une œuvre et d’en prolonger la vie dans le respect de sa nature tangible et intangible. Son objectif est d’explorer l'héritage culturel d'un objet dans toute sa complexité, en collaborant avec un artiste ou une communauté pour s'assurer qu’une œuvre est traitée avec attention et bien contextualisée. L’approche implique de se familiariser avec la technique et l'histoire physique de la pièce, pour lui donner tout son sens.
Le Programme de stage en restauration pour la diversité du MBAC vise à offrir un environnement d'apprentissage de qualité et à soutenir financièrement des étudiants issus de diverses communautés qui aspirent à une carrière en restauration. Traditionnellement, les musées présentent leurs collections et expositions selon une perspective occidentale : la pluralité est absente du choix des œuvres, de leur mise en valeur et même pour ce que l’on considère comme étant de l'art. La profession manque aussi de diversité. La finalité du programme est d’enrichir la profession en favorisant l’expression de différentes visions et expériences jusqu'ici sous-représentées dans les processus de restauration. Le programme constitue la pierre d'assise d'une ouverture, longtemps espérée, des horizons de cette spécialisation fascinante et, plus généralement, du vaste monde des arts.
Conçu pour initier les étudiants à la restauration, le stage permet aux participants de se familiariser avec les méthodes de recherche, l'examen technique et les considérations éthiques inhérentes au domaine. La recherche indépendante – lecture d’articles et de rapports, écoute de vidéos sur les procédés et participation à des webinaires sur l'éthique – ne peut seule refléter toute la complexité de la discipline. Comme étudiante à la maîtrise de l’Université Queen’s, j’ai réalisé à travers le programme que le travail de restauration sollicite la collaboration des autres services d’une grande institution. J’ai aussi eu la chance de discuter avec des équipes de l’Institut canadien de conservation, notamment sur le dialogue naissant quant aux enjeux autochtones en matière de restauration et le besoin de promouvoir la vision et les façons de préserver le patrimoine et les créations autochtones.
Au Musée, Stephen Gritt, le directeur de la conservation et de la recherche technique, m’a invitée à approfondir mes sujets d’intérêt pour bénéficier pleinement du programme. À travers de diverses études de cas, j’ai ainsi découvert comment travailler et interagir avec un artiste à la protection de sculptures de métal extérieures et créer des solutions de rangement sur mesure pour des objets complexes. Étant spécialisée en restauration de peinture, je me suis centrée sur ce type de difficultés, courantes ou non, comme les réactions chimiques observables dans les pigments à base de métal pouvant causer des microéruptions dans les couches de peinture.
Un magnifique portrait d’un artiste britannique anonyme du XVIIIe siècle m’a servi de sujet d’apprentissage en restauration de peinture, incluant l’examen, le traitement et la création d’un rapport sur l’état de conservation à l’intention d’éventuels restaurateurs et conservateurs. Ce type de document présente les différents matériaux et composantes d’un tableau, évalue son état et indique s’il a déjà reçu ou s’il doit subir un certain traitement. Il est extraordinairement exaltant d'établir un contact étroit avec une œuvre et de la dévêtir de ses couches de peinture pour dévoiler son histoire. Un examen attentif au microscope, à la radiographie, ou par l'analyse scientifique permet de déterminer la composition élémentaire de l’œuvre, en suscitant toutefois autant de questions que de réponses. L’examen minutieux, la recherche et la contextualisation donnent l’occasion de bâtir un récit éclairant sur l’histoire et les origines d’une création.
Lorsque j'étais en stage, le Musée est resté fermé au public plusieurs semaines pour cause de pandémie de COVID-19. Cette situation exceptionnelle a donné lieu à des discussions théoriques et investigations du laboratoire menées directement devant les toiles, dans les salles d'exposition désertées. Nous avons ainsi examiné un superbe diptyque de Barthel Bruyn le Vieux, Christian von Conersheim et sa femme Elisabeth von Brauweiler, qui témoigne de conventions anciennes en matière d’art et de traitement de restauration. Datant du milieu du XVIe siècle, ces huiles sur panneaux de chêne sont exposées dans les salles d’art européen. Un aspect qui a particulièrement attiré mon attention, c’est que des cadres anciens faisaient partie intégrante du panneau. Les fabricants ont retiré du bois du centre de celui-ci, créant une zone où la peinture a été appliquée, alors que le bord surélevé restant servait de cadre. Avec le développement de la fabrication de tels panneaux, on a réalisé des cadres intégrés, comme dans le cas du diptyque de Bruyn, où on a fixé des pièces de bois tout autour du support pour encadrer l’œuvre. Cette transformation explique que chaque tableau a aujourd’hui son propre cadre qui, parti du décor en soi, a été créé pour refléter les goûts ornementaux de l’époque et pour agrémenter la peinture.
L’Assomption de la Vierge de Neri di Bicci, qu’on retrouve aussi dans les salles d'art européen, est un remarquable retable du XVe siècle témoignant des techniques et matériaux en vigueur à l'époque. L’observation minutieuse de la peinture dévoile des lignes verticales, régulièrement espacées, la traversant sur sa longueur : il s’agit des jonctions des petites planches assemblées pour former un plus grand support pour le panneau. Le peintre a utilisé la variété des pigments à sa portée, tels le vermillon toxique et le dispendieux bleu outremer d'Afghanistan, qui ont gardé leur vif éclat. Les couleurs plus claires de la base permettent de distinguer le dessin sous-jacent à travers la couche de peinture, une particularité courante dans les œuvres anciennes. Ces éléments invitent à la réflexion sur l'environnement artistique entourant la création de l'œuvre d'art. Ils suggèrent le savoir-faire inhérent à la fabrication de panneaux de qualité, les périples du bois pour les supports et des coloris utilisés, la connaissance que les artistes avaient des pigments, qui a permis à di Bicci de porter son choix sur les matériaux les plus durables pour son œuvre, et l’agitation des ateliers où les apprentis préparaient les couleurs et panneaux en vue de la collaboration entre artistes.
Mon projet final fut un atelier d’introduction d’une semaine sur la dorure, qui consiste en l’application de feuilles d’or sur une surface. Nombreux sont les cadres et tableaux comportant des dorures, comme c’est le cas pour les portraits de Bruyn et les auréoles du retable de di Bicci. Manier la feuille d’or est une opération délicate : au moindre souffle malavisé, la fine feuille se replie sur elle-même ou s’envole. La préparation du support – dans mon cas, la section d’un cadre de bois et un petit chérubin ornemental – a exigé un travail minutieux. La dorure requiert deux importantes aptitudes chez le restaurateur : une patience infinie pour parvenir à traiter une œuvre avec finesse, et la modestie d'accepter que tout nouvel apprentissage est une lutte continue vers l'amélioration et le perfectionnement.
Le programme m'a assurément fourni deux précieux atouts : ceux d'agir et de penser en restauratrice. On peut prendre un temps incalculable à observer une toile en identifiant sans cesse une nouvelle caractéristique ou imperfection sur sa surface. Une expertise scientifique prolongée peut ensuite en dévoiler davantage. Chaque traitement ou restauration est unique. L’amorce d'un projet doit tenir compte de l'histoire de l'œuvre, des matières qui la composent à l'origine, des dommages qu'elle a subis et de son état actuel. La meilleure approche est de prendre le temps d’une réflexion approfondie et d’évaluer les différentes options pour obtenir un résultat optimal. La possibilité d’explorer toutes les facettes de la restauration avec une multitude d’œuvres et d’ainsi participer à la préservation de l’expression créative et culturelle de l’humanité est emballante. Le programme a confirmé la pertinence de mon choix de carrière dans la restauration d’art.
Pour plus d'information sur le programme, consultez Programme de stages en restauration pour la diversité du MBAC. Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.