Giovanni Benedetto Castiglione, L'offrande à Pan (détail), v. 1645–60. Huile sur toile, 154.9 x 228.6 cm. Acheté en 1927. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

Réagir aux changements : un tableau de Giovanni Benedetto Castiglione

Quand William Hogarth publie son livre The Analysis of Beauty [Ananlyse de la beauté] en 1753,  il touche à un sujet qui pourrait faire frémir de peur n’importe quel amateur d’art : « Si les couleurs évoluent moindrement, il faut y voir la conséquence que, certaines étant à base de métal, d’autres de pierre, et d’autres encore de matériaux plus périssables même, le passage du temps ne peut agir sur elles autrement que comme une expérience quotidienne dont nous sommes témoins, l’une fonçant, l’autre pâlissant ou devenant une couleur différente alors que certaines, tel l’outremer, conserveront leur éclat naturel, explique-t-il. Comment alors est-il possible que des matériaux à ce point différents, aux changements si divers […] puissent refléter véritablement l’intention de l’artiste? ». Pour le peintre anglais, en effet, les objets d’art, dans ce cas particulier les tableaux, se transforment dès le premier jour, et ce qui s’offre finalement à nos yeux diffère de l’idée de leurs créateurs.

Ces changements dans une œuvre peuvent se produire d’eux-mêmes, phénomènes liés aux matériaux de base de la pièce, l’huile siccative s’assombrissant par exemple avec le temps. Certaines modifications peuvent également intervenir des suites d’une mauvaise utilisation de ces matériaux, ce que l’on appelle un « vice inhérent »; c’est le cas notamment avec l’abus d’huile, qui crée un noircissement encore plus important. Si le terme est généralement associé à des œuvres de nature expérimentale produites dans les cinquante dernières années, les artistes ont, de tout temps, repoussé les limites de leur pratique et employé en toute connaissance de cause des produits appelés à évoluer. L’on peut donc dire qu’il nous faut composer avec des siècles de vice inhérent.

Habituellement, les transformations des œuvres que nous voyons aujourd’hui résultent des interactions entre ces divers phénomènes et l’environnement où les pièces ont été conservées. Les effets les plus marquants sur la nature et l’apparence d’une œuvre sont souvent liés directement à la façon dont les conservateurs-restaurateurs l’ont traitée et à leur intervention pour corriger ou simplement dissimuler de tels changements. Aujourd’hui, l’un des rôles que les conservateurs-restaurateurs sont appelés à jouer est celui de l’analyse scientifique de la situation et du décodage des causes et effets des changements à travers le temps. Une fois cette démarche menée à bien, un traitement réfléchi peut remédier en partie à ces effets et permettre à l’œuvre d’exprimer à nouveau une plus large part de ce qu’elle est.

Giovanni Benedetto Castiglione, L'offrande à Pan, v. 1645–60. Huile sur toile, 154.9 x 228.6 cm. Acheté en 1927. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

Peinte au milieu du XVIIe siècle par Giovanni Benedetto Castiglione, L’offrande à Pan, illustre plusieurs de ces effets conjugués. La toile montre une structure rappelant un autel, où foisonnent offrandes et trophées destinés à une statue de Pan, divinité antique, présenté sous son apparence caractéristique, mi-homme, mi-bouc. Pan est une incarnation de la nature sauvage et luxuriante, ainsi que de la fertilité. Il est surtout vénéré dans les régions rurales et retirées et, dans cette scène, on voit des chasseurs, des bergers et des gardiens de troupeau lui faire des offrandes dans l’espoir d’obtenir son aide.

Contrastant avec les représentations de l’antiquité classique chez les contemporains de Castiglione, la nature éclectique et exotique des vêtements et objets se veut une évocation de l’étrangeté non olympienne de Pan et peut-être de ses origines orientales. Castiglione cherche à donner vie à cet univers par un rendu dynamique et dépaysant, empli d'une beauté atypique, ce qui lui permet de faire valoir son talent dans la mise en scène de cette abondance étincelante et somptueuse. L’artiste est également un excellent peintre animalier, et l'épagneul est sans contredit l’un des meilleurs portraits canins dans la collection du Musée.

Giovanni Benedetto Castiglione, L'offrande à Pan (détail), v. 1645–60. Photo: MBAC

En haut de la toile, on constate certains des changements s’étant produits au fil des années. Outre la portion supérieure du ciel à l’allure irrégulière et marbrée, résultat de dommages occasionnés par le nettoyage et d'une restauration ancienne décolorée, un trait horizontal est devenu très visible. Il s’agit d’un raccord, là où deux parties du tissu ont à l’origine été cousues ensemble pour obtenir la grande toile, qui est réapparu suite aux traitements structurels passés de la peinture.

Les formes nuageuses mouchetées devraient en réalité apparaître dans un bleu clair plus uniforme et lumineux, faisant contraste avec le doré. Le pigment blue utilisé ici s’appelle « smalt », qui a tendance à se décolorer et est plus susceptible d’être dégradé lors des opérations de nettoyage. Dans ce cas précis, la combinaison du changement de couleur du smalt, de l’effet visuel accru de la sous-couche rouge-brun et des dégâts importants dus au nettoyage éloigne la peinture du rendu souhaité et obtenu à l’origine par Castiglione.

Giovanni Benedetto Castiglione, L'offrande à Pan (détail), v. 1645–60. Photo: MBAC

Sur la gauche, on observe les mêmes effets dans les nuages plus foncés. Les traits noirs qui s’élèvent au-dessus des canards sont en fait des dessins initiaux à la peinture mis au jour par les changements intervenus, et il semble que Castiglione souhaitait au départ intégrer un arbre. Sur la droite, le feuillage des arbres a également évolué avec le temps. Les teintes de vert ont été obtenues comme très souvent à base de cuivre, lequel provoque un brunissement du médium de l’huile. Pan est d’ordinaire associé au printemps, et cette modification entraîne potentiellement le spectateur vers une autre saison. On peut dire que les effets des processus de restauration et le vieillissement naturel des matériaux ont dans l’ensemble assombri la peinture, qui a perdu de sa force dans les demi-teintes, créant un effet plus grand de contraste de tons.

Que faut-il retenir de tout cela? Comment interpréter et comprendre ces œuvres qui sont maintenant très loin de leur intention d’origine? L’essentiel du raffinement apporté par Castiglione dans les dernières touches à ce tableau a simplement disparu, même si certaines parties nous sont parvenues relativement intactes. Comme le mentionnait Hogarth, le blue outremer, employé pour les montagnes et les drapés, s’est avéré résistant, et ressort par conséquent avec trop d’éclat aujourd’hui.

Ceci devrait nous porter à réfléchir, sans toutefois nous décontenancer. Les bons renseignements en tête, la rencontre avec l’œuvre telle qu’elle est s’offre à nous, une expérience qui n’en aura que plus de sens. Nous aider dans cette démarche est l’une des fonctions essentielles des musées, et ce, depuis leur création. Munis d’une information adéquate, nous voici en mesure d’aller chercher plus de la véritable nature de l’œuvre et de sa splendeur d’origine, d’interagir avec elle et d’y trouver la satisfaction qu’apporte une compréhension approfondie.

 

Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.

Partager cet article: 

À propos de l'auteur