Redonner vie aux œuvres d’art : une passion partagée par l’Université Queen’s et le Musée des beaux-arts du Canada

Whatif/Twilight (2008) faisait peine à voir à son arrivée au laboratoire de restauration et de conservation du Musée des beaux-arts du Canada en 2015. Deux ans plus tôt, la toile avait subi de graves dommages à la suite d’inondations et l’artiste, Ron Moppett, l’avait offerte au Musée… si toutefois celui-ci parvenait à la restaurer.  

Stephen Gritt, directeur de la restauration au Musée, se souvient : « La boue avait complètement imprégné la toile qui avait gonflé avant de rétrécir et qui était donc très déformée. »

Le tableau a atterri sur la table de travail de Patrick Gauthier, étudiant en première année de maîtrise en restauration d’œuvres d’art du  programme internationalement reconnu de l’Université Queen’s de Kingston, en Ontario. À l’époque, Patrick Gauthier effectuait son premier stage au Musée. Avouons que la prise en charge d’une œuvre significative d’un grand artiste canadien avait de quoi le rendre nerveux.

Patrick Gauthier, promotion de 2017, examinant une peinture. Photographe : Lawrence Cook.

 

« Franchement, c’était une très grande toile à restaurer pour une seule  personne», dit-il de cette peinture à l’huile, à l’acrylique et à l’alkyde de 285 x 232 cm. « Mon superviseur était là pour m’aider, mais c’était à moi de prendre l’initiative. L’œuvre était vraiment superbe, mais la quantité de boue et l’énorme travail de restauration étaient impressionnants. »

Patrick Gauthier remercie l’Université Queen’s et sa maîtrise en restauration d’œuvres d’art — unique programme de cycle supérieur en restauration d’œuvres d’art au Canada et un des cinq en Amérique du Nord — qui lui ont donné les compétences et la confiance en soi nécessaires pour s’attaquer à la restauration de l’œuvre. « On travaille les fondamentaux dès le départ. Le matin, ce sont des cours et des conférences et l’après-midi, du travail de laboratoire. Chaque étudiant a sa peinture sur laquelle il travaille pendant un an ou deux. Comme on ne sait pas exactement ce qu’on fait, le nettoyage d’une première toile est très intimidant. »

Les étudiants démarrent littéralement « sur les chapeaux de roue », explique Rosaleen Hill, directrice du programme. « Ils travaillent avec des objets d’art dès la première semaine de la première année. C’est surtout une discipline holistique. Les restaurateurs doivent parfaitement comprendre la chimie pour comprendre la science des matériaux de l’objet. »

Théophile Hamel, Étienne Parent, 1848, huile sur toile, 81.2 x 66.2 cm. Don de Paul Étienne Parent, Ottawa (Ontario), 2012. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

 

Les étudiants qui s’inscrivent à ce programme de deux ans viennent du domaine des sciences ou des lettres. Par la suite, ils se spécialisent en restauration de peintures, d’artefacts ou d’objets en papier ou deviennent chercheurs en restauration.

« C’est un milieu d’apprentissage extraordinaire parce que chacun apporte un bagage académique et personnel différent. C’est un  milieu qui crée d’excellentes aptitudes en résolution de problèmes. [Les étudiants] doivent aussi avoir la dextérité suffisante pour traiter un objet de façon efficace et éthique. »

Stephen Gritt convient que les étudiants qui détiennent une maîtrise en restauration de l’Université Queen’s possèdent des habiletés exceptionnelles. « Le programme de Queen’s leur donne une solide base de formation professionnelle. Il développe chez eux une réflexion critique. Il est extrêmement important de ne pas causer de dommages. Ils le savent. Les stagiaires qui n’ont pas d’expérience sont facilement nerveux au moment d’agir. Or une des qualités qu’un restaurateur doit acquérir, c’est de savoir transformer sa nervosité en une objectivité prudente. Pour y parvenir, il faut apprendre le maximum de choses, être aussi habile que possible. »

Tasia Bulger, promotion de 2011, restaurant Le triomphe de Galatée de Simon Vouet. Photographe : Lawrence Cook.

 

Cette maîtrise a été créée en 1974 par Ian Hodkinson, un professeur écossais venu enseigner les techniques et la restauration d’œuvres d’art anciennes à l’Université Queens. Ce dernier affirme qu’il a tout de suite vu que les conditions étaient réunies pour un nouveau programme : « Je savais que Queen’s avait un musée d’art de tout premier ordre, le Centre d’art Agnes Etherington, et des programmes de sciences. Tout concourrait à la mise sur pied d’un programme de formation en restauration. »

Il ajoute que les étudiants n’ont pas tardé « à venir de partout — du R.-U., de Yougoslavie, du Japon, de Chine, du Mexique ou d’Espagne. Et ils repartent le plus souvent dans leur pays d’origine pour mettre en pratique l’expertise qu’ils ont acquise ici. »

Les diplômés de Queen’s travaillent aujourd’hui dans de nombreuses institutions prestigieuses dont le Metropolitan de New York, la Bibliothèque du Congrès, à Washington, le British Museum, le Tate et le Musée des beaux-arts du Canada.

« Ian était une force de la nature », se souvient Susan Walker Ashley qui a fait sa maîtrise de 1989 à 1991 ainsi qu’un stage au Musée des beaux-arts du Canada où elle est devenue restauratrice des peintures au laboratoire de restauration et de conservation. « C’était un programme intense, fascinant, comparable à n’importe quel autre programme d’Amérique du Nord. »

La collaboration entre l’Université Queen’s et le Musée des beaux-arts du Canada ne s’est jamais  limité pas à des stages. En 1975, un groupe d’étudiants et Ian Hodkinson ont entrepris de restaurer Le salon peint de M. et Mme William Croscup, un petit salon fantaisiste, peint à la main vers 1846–1848, provenant d’un foyer rural de la Nouvelle -Écosse. Lorsque le Musée a voulu réassembler et restaurer les panneaux du salon pour l’installer dans les nouvelles salles d’art canadien et autochtone, les étudiants de Queen’s ont joué un rôle crucial. Comme le note Stephen Gritt : « Les projets de réinstallation sont des occasions exceptionnelles de faire découvrir à de futurs diplômés des environnements de travail animés et dynamiques qui favorisent un apprentissage accéléré, tant en atelier que dans les salles du Musée. Dans ce cas précis, nous en avons profité pour créer une année de formation à deux d’entre eux et nous avons beaucoup apprécié poursuivre la tradition de collaboration des Croscup. »

Inconnu (Canada milieu du XIXe siècle), Le salon peint de M. et Mme William Croscup, v. 1846‑1848, huile, fusain et mine de plomb sur plâtre, 2.1 x 3.8 x 4.5 m. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

 

De telles expériences en milieu de travail sont la clé de la formation des futurs conservateurs. Et les stages, qui font partie des études, sont un élément essentiel du programme.

Les salles d’art canadien et indigène accueillent d’autres toiles restaurées par des étudiants de maîtrise du Queen’s : Le salon peint de M. et Mme William Croscup restauré par Patrick Gauthier, Une rencontre des commissaires d’écoles, un tableau de Robert Harris traité par Talia Bulger et Étienne Parent, de Théophile Hamel, remis en état par Marie-Catherine Cyr.  

Quant à Whatif/Twilight, l’œuvre a reparu restaurée après trois mois de traitements intensifs de nettoyage, d’aplanissement et d’étirement dans des conditions extrêmement contrôlées – un processus décrit sur la chaîne YouTube du Musée.

« C’est une question de patience, explique Patrick Gauthier. La boue était si fine qu’il a été très difficile de la déloger de la couche picturale, des sillons des coups de pinceaux. »

Voilà pourquoi il dit avoir ressenti une émotion particulière quand le tableau a finalement été présenté dans le cadre du programme Comprendre nos chefs-d’œuvre, qui explore des œuvres clés de la collection du Musée des beaux-arts du Canada. « On établit un lien étroit avec l’œuvre parce qu’on connaît son histoire. Et on finit par la voir comme le voulait l’artiste — dans une salle d’exposition. Pour moi, c’est à ce moment-là qu’elle est vraiment devenue vivante. Le processus de restauration s’est très bien déroulé. Peut-être mieux qu’on aurait pu le penser pour une peinture qui était restée dans l’eau. Je me sens très privilégié d’avoir travaillé sur cette œuvre. »

Robert Harris, Une rencontre des commissaires d'école, 1885, huile sur toile, 102.2 x 126.5 cm. Musée des beaux arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

 

Ne manquez pas les vidéos des étapes de la restauration de Whatif/Twilight et de l’installation de l’œuvre Le salon peint de M. et Mme William Croscup actuellement exposée dans les salles d’art canadien et indigène du Musée des beaux-arts du Canada.

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