Un tableau trouve son cadre : Quinten Massys et l’encadrement au XVIe siècle

Quinten Massys, La Crucifixion, v. 1515. Huile sur chêne, 51 x 36.5 cm. Acheté en 1954. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa Photo: MBAC
Pendant que le Musée des beaux-arts du Canada est fermé au public, certains membres du personnel très dévoué travaillent pour assurer la sécurité du bâtiment et des collections. La plupart d’entre nous, comme vous, peut-être, travaillent actuellement à distance, mais certains ont des rôles qui exigent de manier directement les œuvres d’art : pour les étudier, les garder en bon état et les préparer pour un voyage ou une exposition. Bien entendu, nous ne pouvons pas effectuer ces activités comme à l’habitude et profitons de l’occasion pour reprendre des projets qui ont été mis de côté en raison des exigences d’une journée de travail habituelle au Musée.
La Crucifixion de Quinten Massys a été peinte sur un panneau en chêne vers 1515. À l’époque, l’artiste flamand (1466–1529/1530) est un peintre majeur à Anvers, riche port de commerce qui devient rapidement un important centre artistique aux XVIe et XVIIe siècles. La peinture de Massys est petite, elle fait tout juste 50 cm de hauteur, mais ses détails fins et précis exigent du spectateur qu’il s’approche pour les apprécier. Le sujet constitue un moment charnière de la foi chrétienne, et les dimensions du tableau suggèrent qu’il a été créé pour une dévotion personnelle : le mécène qui l’a commandé l’utilisait pour méditer sur la souffrance et le sacrifice, et la nature fondamentale de la vie.

Détail du cadre actuel sur le panneau de Quinten Massys, La Crucifixion. Musée des beaux-arts du Canada Photo : MBAC
Quand l’œuvre a été acquise par le Musée au début des années 1950, elle est arrivée dans son cadre actuel, probablement mis en place par le marchand de qui elle a été achetée. Il s’agit d’un cadre mouluré dit à « casseta » qui renvoie à des formes architecturales classiques, notablement l’entablement. S’il apparaît dans des structures comme des retables en Italie dans la dernière partie du XVe siècle, son utilisation comme moulure de cadre n’évolue pas jusqu’au premier quart du XVIe siècle en tant que type distinctement italien. En fait, la moulure du cadre du Massys est probablement une adaptation d’un cadre italien plus grand de la fin du XVIe siècle. Réduit pour s’ajuster à la peinture sur panneau, il comporte un mince masque en contreplaqué pour s’adapter à l’arc de la partie supérieure. Il a été doré, avec des formes peintes inhabituelles dans la frise, puis maladroitement patiné pour donner un aspect vieilli.
À l’instar des modèles italiens, le type de cadre qui accompagnait à l’origine cette peinture flamande était sans doute basé sur un élément architectural, mais il devait s’agir de la fenêtre gothique avec gouttière comme membre inférieur. On peut voir un exemple d’un cadre nordique contemporain du XVIe siècle dans la collection du Musée sur le diptyque de portraits de mariage peint par l’artiste colognais Barthel Bruyn en 1544.

Barthel Bruyn (le vieux), Christian von Conersheim et sa femme Elisabeth von Brauweiler, 1544. Huile sur chêne, 47 x 35 cm. Acheté en 1913. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa Photo: MBAC
Ce cadre et le panneau ont probablement été fabriqués par la même personne et présentés au peintre comme une unité, avec les panneaux engagés à l’intérieur du cadre. Le panneau du Massys devait aussi avoir été associé à un cadre depuis le début.
Les formes de cadres dans l’Europe septentrionale aux XVe et XVIe siècles suivent toutes des préceptes architecturaux et sont bien documentées. Les personnes intéressées à plus de détails peuvent consulter l'étude exhaustive d'Hélène Verougstraete, publié en anglais en ligne par l'Institut Royal du Patrimoine Artistique. Ce livre est fondamentalement une archive de profils de cadres, classés par lieux, dates ou œuvres de peintres connus. Il est aussi un outil précieux quand on recherche un type de cadre approprié à la peinture de Massys.
Le cadre d’origine avait sans doute été fabriqué entièrement à l’aide d’outils manuels; pour faire une reproduction, il est essentiel que seuls de tels outils soient utilisés au-delà du découpage initial. Les moulures créées mécaniquement n’ont pas la légère ondulation, presque imperceptible, qui donne vie au cadre et laisse voir la nature du bois. Par les temps qui courent, l’encadreur principal du Musée peut travailler à ce projet et créer une reproduction convaincante pour encadrer le panneau du XVIe siècle. Dans une suite à cet article, nous allons explorer plus en détail son expérience de la sculpture du chêne en travers du fil et de la menuiserie complexe; nous allons aussi situer son travail dans le débat plus large sur la façon dont les musées décident d’encadrer leur collection.
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