Une vision architecturale : fêter les trente ans

Vue du Musée des beaux-arts du Canada conçu par Moshe Safdie, face aux édifices du Parlement d’Ottawa. Photo : MBAC

En 1982, quand le Gouvernement du Canada a lancé les concours des nouveaux édifices du Musée des beaux-arts du Canada et Musée de la civilisation (Musée canadien de l'histoire), j’ai choisi de participer au second. Toutefois le comité de sélection a décidé  de nous confier la conception du Musée des beaux-arts du Canada. Voilà comment je me suis retrouvé, du jour au lendemain, devant une page blanche.

Vue du site attribué au futur Musée des beaux-arts du Canada, après la première pelletée de terre, en 1983. Photo Bibliothèque et Archive, Musée des beaux-arts du Canada. 

 

Comme je le fais chaque fois que je commence à concevoir un projet, je me suis laissé porter par le site. Et en parcourant les lieux par une journée grise et froide, j’en ai déduit que le pavillon d’entrée de Musée devait être situé sur la promenade Sussex, face à la cathédrale Notre-Dame, car il était important d’offrir aux piétons venant du centre-ville la possibilité d’accéder immédiatement à un lieu accueillant et chaleureux. Pourtant, plus j’explorais le site, plus j’étais séduit par son autre extrémité, à l’ouest, vers la rivière où je pouvais voir Hull de l’autre côté de la rivière des Outaouais, et vers le superbe panorama du Parlement et de sa bibliothèque accrochés à la falaise.

Moshe Safdie et Premier Ministre Pierre Trudeau au Musée des beaux-arts du Canada. Photo avec l'autorisation de Safdie Architects.

 

Dans cet état de fluidité, le papier à dessin et le fusain se révèlent d’excellents outils d’exploration. Le charbon mou glisse sur le papier et s’efface du revers de la main : organisation des formes, circulation; disparition de lignes au profit des nouvelles lignes, puis d’autres et d’autres encore. Dans le cas du Musée des beaux-arts du Canada, cette étape embryonnaire s’est prolongée, évoluant dans un premier temps vers trois versions complètement différentes qui possédaient chacune leur structure organisationnelle, leur approche du site et leurs propres volumes. Passant rapidement à la pâte à modeler, j’ai ensuite fait trois maquettes qui ont donné une tridimensionnalité à ces schémas de base.

Moshe Safdie, Esquisse pour la conception du Musée des beaux-arts du Canada, carnet de dessins de Moshe Safdie. Photo avec l'autorisation de Safdie Architects.

 

J’ai ensuite réfléchi au langage architectural du projet. Comment le Musée devait-il se détacher de l’escarpement rocheux de la pointe Nepean ? Fallait-il prolonger le terrain rocheux, construire un bâtiment de pierre en résonance avec l’environnement (l’édifice monumental du Parlement et la cathédrale d’Ottawa) et lui ajouter des structures cristallines en verre ?

J’avais dès le début saisi la dimension cérémonielle du futur Musée. Situé en face du Parlement, en plein cœur de la capitale, l’édifice appelait des espaces de réception et d’apparat. Le programme prévoyait d’ailleurs un foyer capable d’accueillir des réceptions et des grands événements. Mais j’ai rapidement bonifié ce concept dans mon esprit, pensant et faisant référence à un « Grand Hall ».

Vue extérieur du Grand Hall, Musée des beaux-arts du Canada. Photo : MBAC

 

Quelle était la hauteur idéale pour apprécier au mieux la vue spectaculaire sur le Parlement et sur la rivière des Outaouais ? Nous avons fait venir des ouvriers qui ont construit une plateforme en bois de huit mètres de haut, ainsi qu’un escalier d’accès provisoire. Debout en haut de cette plateforme, nous avons confirmé la hauteur du sol du Grand Hall. En nous tournant vers la cathédrale, nous étions à huit mètres environ au-dessus du niveau de la rue. De là est née l’idée de la « Colonnade », un longue rampe en pente douce de 5 % reliant l’entrée principale au Grand Hall. Plus tard, nous avons découvert et vérifié que la longueur et l’inclinaison de notre rampe étaient semblables à celles de la grande rampe de Bernini contigüe à la Scala Regia du Vatican, et ce détail a entraîné l’approbation de notre proposition.

La Colonnade reliant l’entrée principale au Grand Hall. Photo : MBAC

Pour la pierre, nous avions pensé à un grès couleur chamois identique à celui du Parlement. Malheureusement celle-ci provenait d’une carrière des États-Unis et le premier ministre Pierre Trudeau s’était montré très ferme : « Le Musée des beaux-arts du Canada exige une pierre canadienne. » Une nouvelle recherche rapide et imprévue a ouvert la possibilité d’un granit gris-rose provenant de Tadoussac, au Québec. Nous avions une fin de semaine pour repenser l’édifice dans cette nouvelle teinte. Après plusieurs esquisses de couleur rose et chamois des différents espaces du Musée, nous avons pris une décision qui semblait audacieuse pour l’époque et opté pour le rose.

Un musée d’art, ce sont surtout des salles, des lieux où sont exposées des œuvres d’art. Entre autres problématiques de fond, il fallait trouver une façon de permettre au public d’apprécier les œuvres à la lumière naturelle et de contrôler cette lumière pour respecter les contraintes de conservation. Il est devenu évident que nous devions superposer deux étages de salles pour satisfaire aux exigences du programme. En toute logique, la collection d’art canadien devait être exposée au niveau du Grand Hall, à l’étage noble, et les collections d’art européen et américain au niveau supérieur. Dans les musées traditionnels, de généreux puits de lumière éclairent les salles à l’étage – une solution qui prive de lumière naturelle les salles du rez-de-chaussée. Mais Jean Sutherland Boggs, Président de la Société de construction des musées du Canada, s’est indignée: « Comment pourrions-nous offrir une lumière naturelle aux collections d’art européen et américain, mais la refuser à la collection canadienne? »

Vue des salles d’art européen, 2016. Photo : MBAC

 

Nous nous sommes attelés à deux tâches : premièrement, inventer un système permettant de faire entrer la lumière naturelle sur les deux étages de salles; deuxièmement, concevoir des salles  capables d’accueillir, de façon précise, différentes sections de la collection. Après des recherches, le concept a évolué : l’installation à travers le plancher de l’étage de conduits revêtus de surfaces réfléchissantes laisserait pénétrer la lumière des puits de lumière du toit jusque dans les salles d’art canadien du rez-de-chaussée. Même si nos modèles étaient convaincants, il fallait tous les tester et nous avons donc construit un modèle grandeur nature. Le système a été adopté dans tout l’édifice après confirmation.

Vue des puits de lumière traversant l’édifice. Photo : MBAC

 

Il fallait aussi penser à l’adaptation des salles aux différentes sections de la collection. Nous avons conçu des espaces plus ouverts et une salle à dominante blanche pour la collection d’art contemporain. En revanche, nous avons prévu une série de voûtes pour les œuvres plus classiques de la collection. Nous avons aussi imaginé plusieurs finis particuliers et géométries de plafonds, notamment la salle blanche au plafond en pente pour Voix de feu de Barnett Newman et d’autres œuvres d’art contemporain, et la salle voûtée, soulignée de velours rouge, pour la collection d’art baroque.

Vue du Grand Hall. Photo : MBAC. Photo Timothy Hursley. Courtesy of Safdie Architects.

 

Aujourd’hui, le Grand Hall qui surplombe le Parlement, le Musée de la Civilisation et la rivière des Outaouais est un lieu communautaire qui peut devenir protocolaire à l’occasion de dîners d’État, d’activités d’entreprise et de vernissages. Le public qui monte vers le Grand Hall est saisi par la monumentalité des lieux. Comme me l’a dit de façon rassurante le gouverneur de la Banque du Canada lors de l’inauguration du Musée, il y a trente ans : « Cet édifice réussit à être à la fois monumental et à échelle humaine. » Peut-être est-ce là le plus beau des compliments.

 

L’édifice du Musée des beaux-arts du Canada fêtera ses 30 ans le 21 mai 2018. Participez aux festivités Célébration d’anniversaire : votre édifice fête ses 30 ans qui auront lieu le 20 mai 2018. Pour partager cet article, veuillez cliquer sur la flèche en haut à droit de la page.

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