
Thomas Cole, Détail de View from Mount Holyoke, Northampton, Massachusetts, after a Thunderstorm – The Oxbow [Vue depuis le mont Holyoke, Northampton, Massachusetts, après l'orage], 1836. Huile sur toile, 130.8 × 193 cm The Metropolitan Museum of Art, New York, Don de Mrs. Russell Sage, 1908, (08.228) © The Metropolitan Museum of Art, Photo par Juan Trujillo
Thomas Cole : une nouvelle perspective sur le père fondateur du paysage américain
Une exposition soigneusement pensée met à l’honneur le fondateur de l’école de l’Hudson, Thomas Cole (1801–48), et inscrit dans une dimension internationale ce pionnier de la peinture de paysage américaine qui mérite d’être reconnu et apprécié des deux côtés de l’Atlantique. Après son succès au Metropolitan Museum of Art de New York, Thomas Cole: Eden to Empire [De l’Éden à l’Empire] est aujourd’hui à l’affiche à la National Gallery de Londres. À Londres comme à New York, les commissaires Tim Barringer et Elizabeth Mankin Kornhauser ont secoué l’image traditionnelle et nationaliste d’un peintre typiquement américain dont les sublimes paysages s’adressaient à une jeune nation de plus en plus prête à s’approprier sa destinée. Ils définissent un personnage plus complexe et pétri de contradictions, un immigrant ambitieux et conscient de sa position sociale, un homme imprégné des traditions religieuses et artistiques européennes et un grand admirateur des poètes romantiques, entre autres Byron. Loin de se faire le chantre de l’expansionnisme américain et en s'opposant à l’idéologie jacksonienne qui prévalait alors, Cole plaidait en faveur de la préservation de l’environnement naturel.
Thomas Cole a déjà une formation de graveur lorsqu’il émigre avec sa famille en Amérique à 17 ans, il y a exactement 200 ans. Pendant son adolescence, il s’était rendu compte des dégâts environnementaux causés par l’industrialisation dans son Lancashire natal. Principalement autodidacte, l’artiste commence par peindre des paysages sauvages, puis il décide à 28 ans de repartir pour l’Europe afin d’étudier les maîtres anciens en Italie et en Grande-Bretagne.

Thomas Cole, L'intérieur du Colisée, Rome, c. 1832. Huile sur toile, 25.4 × 45.7 cm. Albany Institute of History & Art, Achat, Evelyn Newman Fund (1964.71). Image avec l'autorisation de Albany Institute of History & Art
Cole est parmi les premiers à mettre en relief la beauté et l’échelle majestueuse des paysages nord-américains qu’il cadre et allégorise de nouvelles façons tout en remettant en question les comportements couramment liés à l’exploitation de la nature. Il forme aussi la nouvelle génération de paysagistes américains, notamment Frederic Edwin Church et Jasper Francis Cropsey, montrant la direction qu’allait la peinture de paysage américaine. Toutefois ses élèves admiratifs projettent souvent dans leurs œuvres des valeurs très différentes des siennes, tendant à exalter le nationalisme et à présenter une vue harmonieuse de l’occupation humaine.
Centrée sur la période 1832–37 qui suit le premier voyage d’études de Cole en Europe, l’exposition de Londres regroupe plus de 35 esquisses et tableaux de l’artiste. Mort relativement jeune à l’âge de 47 ans, ce peintre prolifique a réalisé plus de cent tableaux dont nous ignorons le sort d’une partie d’entre elles. L’exposition réunit aussi quelque 25 toiles de ses contemporains britanniques, notamment J.M.W. Turner et John Constable, qui entrent en dialogue avec les œuvres de Cole et les situent en contexte. Cole avait fait la connaissance de ces artistes et soigneusement étudié leurs techniques.

Thomas Cole, View from Mount Holyoke, Northampton, Massachusetts, after a Thunderstorm – The Oxbow [Vue depuis le mont Holyoke, Northampton, Massachusetts, après l'orage],, 1836. Huile sur toile, 130.8 × 193 cm. The Metropolitan Museum of Art, New York, Don de Mrs. Russell Sage, 1908, (08.228) © The Metropolitan Museum of Art, Photo par Juan Trujillo
Le tableau le plus célèbre de Cole, Vue depuis le mont Holyoke, Northampton, Massachusetts, après l’orage (1836), plus souvent nommé The Oxbow [Le méandre], a été prêté pour la première fois à un musée d’outre-mer par le Metropolitan Museum où il est généralement exposé bien en évidence. L’œuvre est divisée par une diagonale : un ciel de tempête, des forêts et de branches cassées accaparent le côté gauche du tableau tandis qu’une vue lointaine sur des prairies cultivées et des montagnes déboisées en occupe le côté droit. La minuscule silhouette au milieu est celle de l’artiste, debout à côté de son chevalet placé sur un affleurement rocheux, qui observe ses contemporains américains comme pour leur demander si leur nouveau pays compte préserver sa splendeur naturelle ou poursuivre son exploitation sans limites. Comme le souligne Tim Barringer, le méandre de la rivière évoque aussi un grand point d’interrogation. Lorsqu’il a été exposé pour la première fois, ce tableau accueilli avec chaleur a été vu comme un splendide panorama rendant hommage aux décors américains et à la domestication de la nature. Bien peu de gens avaient saisi la grande interrogation de l’artiste.

Thomas Cole, The Course of Empire: The Savage State [Le Cours de l'Empire: L'Etat sauvage], c.1834. Huile sur toile, 99.7 × 160.6 cm. Avec l'autorisation de New-York Historical Society © Collection de The New-York Historical Society, New York / Image digitale créé par Oppenheimer Editions
Semblable question et semblable avertissement convenant d’ailleurs aussi bien à l’Europe qu’à l’Amérique sous-tendent le cycle ambitieux de Cole, Le Cours de l’Empire (1833–36), qui constitue le point culminant de l’exposition londonienne. Cette fresque en cinq grands tableaux décrit l’essor et la chute d’une civilisation. Le premier, L’État sauvage (v. 1834), représente une forêt vierge habitée par des chasseurs-cueilleurs. À droite se dresse un pic montagneux, un élément typique des autres œuvres du cycle. Si quelques huttes évoquent des tipis, le personnage le plus visible est un chasseur barbu, de type caucasien.

Thomas Cole, The Course of Empire: The Consummation of Empire [Le Cours de l'Empire: L'Apogée], 1835–36. Huile sur toile, 130.2 × 193 cm. Avec l'autorisation de The New-York Historical Society © Collection de The New-York Historical Society, New York / Image digitale créé par Oppenheimer Editions
Le plus grand tableau et pièce maîtresse du cycle, L’Apogée (1835–36), dépeint une capitale impériale imaginaire à l’architecture de marbre classique, noire de monde et complètement urbanisée. À l’avant-plan, une figure napoléonienne drapée d’une toge rouge mène une procession victorieuse sur un chariot tiré par un éléphant. La scène multiplie les signes de pillage, de consommation et de vulgarité. Il est évident que les deux tableaux suivants devront, aux yeux du peintre, décrire l’effondrement de cette civilisation orgueilleuse par des scènes rappelant le sac de Rome et les ruines italiennes classiques. Les critiques ont souligné la pertinence de cette exposition pour les visiteurs d’aujourd’hui, bien avertis du luxe tape-à-l’œil et des catastrophes environnementales à l’échelle mondiale.

Thomas Cole La tombe du général Brock, Queenston Heights, Ontario, 1830. Huile sur toile, 74.5 x 112.5 cm. Acheté en 2009. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa Photo: MBAC
Le Musée des beaux-arts du Canada a prêté pour cette exposition l’unique toile qu’elle possède de cet artiste, La tombe du général Brock, Queenston Heights, Ontario. Peinte lors du premier séjour de l’artiste en Angleterre, l’œuvre a été exposée (mal, selon Cole, car accrochée en hauteur, dans un coin, où il était difficile de la voir) à l’exposition annuelle de la Royal Academy en 1830. Le sujet et l’arrière-plan nord-américains inhabituels devaient se démarquer et plaire à un public britannique qui tenait en haute estime le héros mort en martyre de la guerre de 1812. Le soleil qui éclaire le monument suggère la grâce divine; plus loin, les rives paisibles du lac Ontario magnifient l’ultime exploit militaire de Brock. À l’époque de Cole, ce monument imposant de 40 mètres de haut était déjà une attraction touristique qui envoyait un puissant message de présence britannique continue en Amérique du Nord.

Ed Ruscha, Blue Collar Tech-Chem, 1992. Acrylique sur toile, 123.5 × 277.8 cm. The Broad © Ed Ruscha / photography Paul Ruscha; Ed Ruscha, The Old Tech-Chem Building, 2003. Acrylique sur toile, 123.2 × 278.1 cm. The Broad © Ed Ruscha / photography Paul Ruscha
À Londres, l’installation en parallèle de huit toiles de l’artiste de Los Angeles Ed Ruscha souligne la résonnance contemporaine de l’œuvre de Cole. Également appelé le Cours de l’Empire (1992, 2003–2004), ce cycle qui repose sur quatre lieux a été créé à l’origine pour le pavillon américain de la Biennale de Venise à 2005. Ed Ruscha reprend dans cette série les bâtiments carrés qu’il a peints une décennie plus tôt, représentant leurs changements de fonctionnalité et de décoration extérieure et illustrant l’évolution de la société de consommation. C’est ainsi que les deux artistes utilisent des décors de leur époque pour alimenter une critique sociale. Les visiteurs de tous les pays qui découvriront cette exposition propice à la réflexion auront le loisir de voir Cole sous un nouveau jour fascinant.
Thomas Cole: Eden to Empire et Ed Ruscha: Course of Empire sont à l'affiche à la National Gallery Londres jusqu'au 7 octobre 2018. Pour partager cet article, veuillez cliquer sur la flèche en haut à droite de la page. N’oubliez pas de vous abonner à nos infolettres pour connaître les dernières informations et en savoir davantage sur l’art au Canada.