Anna Atkins : Les cyanotypes de la pionnière de la photographie

Anna Atkins, Polypodium crenatum, Norvège, 1854. Cyanotype, 32.9 x 23.6 cm. Acheté en 1983. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC
La culture, la collection et la taxonomie des fougères sont des passe-temps très répandus dans la société britannique au milieu du XIXe siècle. Pour désigner cet engouement, Charles Kingsley forge le mot pteridomania (en français, ptéridomanie), qu’il introduit dans son Glaucus, or the Wonders of the Shore (1855). La mode n’est pas en reste, qui impose le motif des fougères sur de nombreux objets domestiques : poterie, mobilier, verrerie, tissus.
Cette fascination pour les fougères et d’autres formes de vie végétale coïncide avec les débuts de la photographie. William Henry Fox Talbot, l’inventeur de la photographie sur papier, est également un botaniste passionné à qui les fougères servent de sujets d’expérience. Dans un texte sur la gravure photoglyphique, Talbot afirme en 1865 que ce procédé qu’il a mis au point pourrait beaucoup favoriser l’étude scienti que des plantes; si ce procédé avait été inventé il y a cent ans, ajoute-t-il, il «aurait grandement aidé les botanistes modernes à identi er les plantes» découvertes par les explorateurs, car ceux-ci en donnaient souvent «des descriptions si inexactes qu’elles constituent autant d’énigmes et qu’elles ont fait obstacle au progrès scienti que au lieu de le stimuler». D’autres photographes amateurs de Grande-Bretagne s’empressent de s’initier au dessin photogénique, et les botanistes gurent parmi les premiers savants à adopter la photographie qui, dès ses prémisses, promet la reproduction rigoureuse, rapide et à peu de frais de formes détaillées.
Anna Atkins est une botaniste amateur, aussi qu’une aquarelliste et une lithographe accomplice, et British Algae: Cyanotype Impressions, son premier ouvrage illustré de photographies publié en 1853, apporte à juste titre la célébrité à Atkins. Les Celtes, qui s’émerveillaient de la capacité des fougères de se reproduire comme par enchantement sans l’intermédiaire d’organes de fructification, prêtaient à ces végétaux des vertus particulières. Forte de la magie de la photographie, Atkins cherche à souligner les pouvoirs de reproduction de la nature. La fronde de fougère réalisée par cette virtuose du dessin attire le regard de loin grâce à sa composition dynamique, tout en étant propice à un examen plus minutieux.

Anna Atkins, Alaria esculenta (1849) et Ulva latissima (1853), publié dans Photographs of British Algae, 1843–53. Cyanotypes. Spencer Collection, New York Public Library.
Chaque exemplaire de son recueil édité par parties de 1843 à 1853 comporte plus de quatre cents planches, toutes réalisées sur papier sensibilisé à la main. Atkins connaît William Henry Fox Talbot, botaniste comme elle, et expérimente le procédé aux sels d’argent. Mais, pour son ouvrage, elle adopte l’invention (1842) d’un autre ami, sir John Herschel, le cyanotype (du grec «kyanos» : bleu sombre) qui exploite la sensibilité des sels ferriques à la lumière.
Atkins pose l’algue séchée sur le papier sensibilisé puis, ayant mis le tout sous verre, l’expose à la lumière du jour. En quelques minutes, la magie de l’énergie solaire laisse apparaître progressivement une image. Suit le lavage à l’eau claire qui fait réagir les composés ferreux de la feuille, laquelle acquiert sa couleur bleu de Prusse caractéristique. Ce spécimen fait fonction de « négatif » dans le tirage de multiples dont chacun est en tous points dèle au modèle végétal.
Le bleu attrayant du cyanotype est dû à son état naturel. Si cette couleur convient parfaitement aux fleurs de mer, le procédé se prête surtout aux portraits évocateurs de mélancolie et aux paysages sous clair de lune, ce qui en restreint les applications. Pour les botanistes, la couleur n’est pas un inconvénient, mais la plante qui module la lumière avant qu’elle n’atteigne le papier, y laisse une ombre étrange – une silhouette ou photogramme. Comble d’ironie, la véracité en photographie constitue un désavantage, car l’image est associée à un spécimen précis qui n’est pas forcément typique dans toutes ses parties de l’espèce. La gravure à la main, technique plus onéreuse, continue de dominer l’illustration botanique.
Au cours de la décennie de la parution de British Algae, elle se laisse séduire par les pouvoirs d’expression du cyanotype. Son imposant ouvrage achevé, elle se tourne, par pur plaisir semble-t-il, vers les plumes et divers sujets botaniques. Elle a pour collaboratrice occasionnelle une très chère amie d’enfance, Anne Dixon (une cousine au deuxième degré de Jane Austen). En 1854, Atkins lui fait cadeau d’un album exceptionnel, Cyanotypes of British and Foreign Flowering Plants and Ferns, aux images d’un format supérieur à celui des algues, sans doute proportionnel aux dimensions des fougères. Polypodium crenatum en est l’une des cent soixante planches.
Cet article est un extrait édité d'une entrée de Larry Schaaf (avec du texte supplémentaire de Lori Pauli) dans Photographies britanniques du XIXe siècle, publié par le Musée des beaux-arts du Canada en 2011. Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.