Du personnel à l’universel. Geoffrey Farmer à la Vancouver Art Gallery

 

Geoffrey Farmer, The Surgeon and the Photographer [Le chirurgien et le photographe] (2009– ), détail, papier, textile, bois, métal. Collection de la Vancouver Art Gallery, acheté avec l’aide du Jean MacMillan Southam Major Art Purchase Fund, de Phil Lind, du fonds d’acquisition de la Vancouver Art Gallery, du programme de subventions d’acquisition du Conseil des arts du Canada et de la Michael O’Brian Family Foundation. Photo : Rachel Topham, Vancouver Art Gallery

La Vancouver Art Gallery (VAG) consacre, dans How Do I Fit This Ghost in My Mouth? [Comment puis-je faire entrer ce fantôme dans ma bouche?] une importante rétrospective de mi-carrière à l’artiste vancouvérois de renommée internationale Geoffrey Farmer, connu des visiteurs du Musée des beaux-arts du Canada (MBAC) pour son surprenant Leaves of Grass, entre autres. L’exposition, qui s’étend sur tout le premier étage de la VAG, occupe plus de 900 mètres carrés dans les salles, sans parler des œuvres in situ de Farmer, qui prennent possession des escaliers, de la rotonde, et même des espaces dans les « catacombes ».

« Geoffrey était emballé à l’idée de cette exposition, en partie parce qu’elle s’adresse à un public local qui a suivi son travail », affirme la commissaire adjointe de l’exposition, Daina Augaitis, aussi conservatrice en chef et codirectrice de la VAG. « Il a également une attache personnelle avec le lieu, puisque la VAG abritait auparavant la cour provinciale, où son père était procureur. Geoffrey a donc connu le bâtiment dans un contexte très différent, et il a voulu mettre au jour non seulement l’histoire de l’institution qu’il accueille aujourd’hui, mais aussi celle d’un édifice qui a un lien avec son propre vécu. »

 

Geoffrey Farmer, The Last Two Million Years [Les deux derniers millions d’années] (2007), version de l’exposition, 2015, découpages de pages choisies de The Last Two Million Years, socles de carton mousse, plaques de Plexiglas, marbre, encens. Tate : Prêté par l’American Fund for the Tate Gallery, avec la permission du North American Acquisitions Committee 2010. Photo : Rachel Topham, Vancouver Art Gallery

Farmer a créé ce récit historique en revisitant notamment des éléments des archives artistiques du Musée pour réaliser des installations. Il s’est également servi des catacombes, qui seront accessibles quelques fois par mois, lors de visites commentées particulières. L’exposition a été préparée avec la conservatrice adjointe Diana Freundl, bien que, comme le dit Augaitis, Farmer ait joué un rôle clé dans sa conception de l’ensemble.

« Geoffrey voulait transformer et rafraîchir l’architecture de la VAG, ainsi que l’expérience d’en visiter le premier étage, souligne Augaitis. Il a disposé des objets dans la rotonde, à l’entrée des visiteurs. Ces objets mènent jusqu’au sommet des escaliers, où on a l’impression d’être dans une arrière-boutique. Après cette zone un peu chaotique, les spectateurs rencontrent la première œuvre organisée de l’exposition (et le premier projet de découpage de l’artiste), The Last Two Million Years [Les deux derniers millions d’années] (2007), qui présente les deux derniers millions d’années de création artistique. » 

Farmer a réalisé tout au long de sa carrière un grand nombre d’œuvres en découpages. Dans le déroutant Leaves of Grass, présenté au MBAC jusqu’au 14 septembre 2015, figurent plus de 16 000 images découpées dans quelque 900 éditions du magazine Life publiées entre 1935 et 1985. Chaque image a été collée sur une tige de graminée miscanthus et insérée dans une mousse florale. Le résultat est une installation mesurant 38 mètres de longueur, visible des deux côtés, et racontant cinq décennies d’histoire sociale. 

L’exposition du VAG comprend une autre œuvre clé selon la même technique : Le chirurgien et le photographe (2009), vue pour la première fois au MBAC, à Ottawa, cette année-là et aujourd’hui dans la collection permanente du VAG. La pièce est constituée de 365 collages en trois dimensions. « Chacun est une sorte de marionnette à gaine dont la tête est un collage d’images que Farmer a découpées dans des livres, dit Augaitis. Puisqu’il y en a 365, l’œuvre devient une référence au temps et à l’horloge – celle-ci revenant souvent dans son travail. »

 

Geoffrey Farmer, Notes for Strangers [Notes à des étrangers] (détail) [1990], machine à écrire, notes tapées à la machine, billet de correspondance de bus. Collection de Laing et de Kathleen Brown. Avec la permission de l’artiste, Catriona Jeffries Gallery, Vancouver, et Casey Kaplan, New York

Le MBAC a prêté deux œuvres. La première est Roulotte (2002), facsimilé pleine grandeur d’une remorque de camion, avec feux, roues et bavettes garde-boue. Cette coquille vide a été conçue pour servir d’accessoire de cinéma, et construite pour avoir l’air le plus véridique possible. Un film de poussière couvre la surface blanche de la roulotte et de la boue est répandue sur la citerne pour suggérer la contradiction propre aux effets spéciaux entre ce qui a l’air vrai et ce qui l’est. Roulotte a été exposée dans des contextes divers, en fonction de l’institution.

Quand elle a été présentée en 2008 au Musée d’art contemporain de Montréal, par exemple, elle a été intégrée dans un récit très personnel pour Farmer. Alors qu’il vivait à San Francisco au début des années 1990, l’artiste a été témoin d’un accident : une femme a été renversée par un camion à roulotte blanche. Dans le cadre de cette exposition, Farmer a fait allusion à cet incident en incluant, avec Roulotte, une œuvre figurative intitulée : Je suis de nature un et plusieurs, me divisant en multiples, et les mettant en opposition de grand et petit, lumineux et sombre, et en dix mille autres façons (2006–2008). Celle-ci, dans ce contexte, a servi de substitut pour la femme de l’accident. Les deux pièces seront présentées au VAG de manière semblable.

« Roulotte est assez différente de la plupart de ses autres œuvres, en ce sens qu’il ne s’agit pas d’un groupement, mais d’un objet unique dont l’échelle est massive, explique Augaitis. Dans l’organisation de l’exposition, il est évocateur. C’est la première pièce figurative que Farmer a faite. Elle a été suivie de nombreuses autres, des marionnettes du Chirurgien et le photographe aux réalisations beaucoup plus grandes qui figureront dans l’exposition. Nous avons jugé important, dans un tel type de rétrospective, de présenter les origines mêmes du travail figuratif de l’artiste. »

 

Geoffrey Farmer, Let’s Make the Water Turn Black [Faisons de l’eau noire] (2013–2015), vue de l’installation 2015, accessoires de théâtre et de cinéma, plateforme, éléments sonores, lumineux et cinétiques contrôlés par ordinateur, sonothèque, composition générative basée sur des programmes de Brady Marks et Geoffrey Farmer. Collection particulière. Photo : Rachel Topham, Vancouver Art Gallery

L’exposition comporte une autre pièce d’importance, Let’s Make the Water Turn Black [Que l’eau devienne noire] (2013–2015). Elle est basée sur la recherche de Farmer concernant la vie de Frank Zappa, et reprend le titre d’une des chansons de ce dernier. Composée de plus de 70 éléments (dont des accessoires de cinéma et des décors de théâtre récupérés, entre autres matériaux trouvés), l’installation repose sur une plateforme surélevée qui occupe 111 mètres carrés d’espace d’exposition. La piste audio qui fait partie de l’œuvre semble amener certains objets à bouger.

« Geoffrey Farmer est un artiste à mi-chemin de sa carrière, qui a une forte notoriété à l’échelle internationale, ajoute Augaitis. Il est une grande vedette, ce qui génère beaucoup d’attentes envers cette exposition. Le titre, How Do I Fit This Ghost in My Mouth?, est une proposition de Geoffrey. C’est un sujet de réflexion qu’il suggère aux visiteurs. Si un fantôme appartient au passé, à l’histoire, il s’agit peut-être d’une question sur l’incarnation de l’histoire ou de la connaissance elle-même. C’est une invitation lancée aux spectateurs qui déambulent dans l’exposition. »

How Do I Fit This Ghost in My Mouth? est à l’affiche à la VAG jusqu’au 7 septembre 2015. Cliquez ici pour de plus amples renseignements.

À propos de l'auteur