Entretenir et célébrer la mémoire. Teresa Margolles


Teresa Margolles, Pista de baile del “Nightclub Irma’s” [Piste de danse du “Nightclub Irma’s”], 2016. Impression couleur sur papier de cotton. Travailleuse du sexe transgenre debout sur les ruines de la piste de danse d’une boîte de nuit démolie à Ciudad Juárez, Mexique. 125 x 185 cm (encadrée). Avec l’aimable permission de l’artiste et de la Galerie Peter Kilchmann, Zurich

Le vieil aphorisme voulant « l’art imite la vie » transparaît nettement dans l’œuvre de Teresa Margolles.

La pratique de la photographe, vidéaste, artiste conceptuelle et artiste de performance met en lumière l’injustice sociale et politique et révèle la violence qui gangrène depuis longtemps son Mexique natal. Dans l’exposition Teresa Margolles : Mundos au Musée d'art contemporain de Montréal (MAC), l’artiste affronte le phénomène de la marginalisation, s’interrogeant sur la banalité des morts et des disparitions féminines à Ciudad Juárez, une ville frontière dangereuse de l’État mexicain de Chihuahua. 

« Les œuvres de cette exposition sont renversantes même si elles sont très dures à regarder », confie en entrevue avec Magazine MBAC John Zeppetelli, directeur général et conservateur en chef du MAC. « Le mariage très contemporain entre l’art classique et le minimalisme imprègne les œuvres de Teresa d’une bouleversante sensibilité. »


Teresa Margolles, La Promesa [La Promesse] (détail, action performative), 2012. Bloc sculptural réalisé à partir des décombres pulvérisés d’une maison démolie à Ciudad Juárez, Mexique. Dimensions variables. Vue d’installation de l’action performative au MUAC, Mexico, 2012. Collection Museo Universitario Arte Contemporáneo (MUAC), UNAM, Mexico. Photo: Rafael Burillo

Teresa Margolles est née en 1963 à Culiacán, au Mexique. Ses études de médecine légale ont influencé l’évolution de sa pratique artistique des trente dernières années qui lui a valu la réputation d’être l’une des plus grandes artistes mexicaines de sa génération. Non seulement a-t-elle représenté son pays à la Biennale de Venise de 2009, mais elle a reçu de nombreuses récompenses dont le Prix Artes Mundi (Cardiff, Pays de Galles) et le Prix Prince Claus (Pays-Bas) en 2012. Sa toute dernière exposition au MAC, Mundos (Mondes), est aussi sa première exposition individuelle au Canada. 

Se concentrant sur les œuvres des dix dernières années, Mundos se nourrit du contexte de Juárez qui, rappelle John Zeppetelli, a été une puissance industrielle avant de succomber à la violence de la guerre du Mexique contre les narcotrafiquants. Les premières photos de l’exposition présentent des travailleuses du sexe transgenres debout sur les ruines de boîtes de nuit démolies de la ville. « Teresa a retrouvé les anciens lieux de travail de ces femmes et les a fait poser fièrement sur les pistes de danse qu’elle-même avait dépoussiérées et nettoyées comme une archéologue, dit-il. Pour Teresa, ces femmes dont beaucoup sont aujourd’hui tristement décédées sont des symboles de résistance dans une ville ou un État en déliquescence totale. »


Teresa Margolles, Pesquisas [Enquêtes], 2016. Installation murale, 30 tirages couleur de photographies d’affiches de femmes disparues à Ciudad Juarez, Mexique, des années 90 à aujourd’hui. 303 x 705 cm (approx. pour l’ensemble). Photo: Avec l’aimable permission de l’artiste et de la Galerie Peter Kilchmann, Zurich

Peu après la section des photographies se dresse Pesquisas [Enquêtes] (2016), une murale composée des visages de trente jeunes filles et femmes disparues entre la fin des années 1990 et aujourd’hui. « Ces affiches tapissent la ville », explique John Zeppetelli en précisant qu’il y a tout lieu de craindre que les victimes aient été enlevées, agressées sexuellement et éliminées. « L’horreur dépasse l’imagination. » Des enregistrements sonores des lieux où se seraient produits ces violents assassinats donnent vie à la murale. 

Parmi les autres installations, citons un bloc sculptural construit à partir des décombres d’une maison ayant appartenu à une jeune fille disparue de Juárez et une pièce vide où une cascade de bulles se déclenche chaque fois que passent des visiteurs. « Teresa a récupéré l’eau d’une morgue où les cadavres étaient nettoyés après les autopsies, dit John Zeppetelli. Les bulles doivent éclater sur la chair des visiteurs parce que nous sommes tous témoins de ces morts. »


Teresa Margolles, Tela bordada (tissus brodé), 2012, b
roderie maya traditionnelle sur tissus réalisée par des militantes autochtones du Guatemala (Lucy Andrea López, Silvia Menchú, Bonifacia Cocom Tambriz, María Josefina Tuy Churunel, Marcelina Cumes, Rosamelia Cocolajay, Yury Cocolajay, Alba Cocolajay and Cristina López). Ce morceau de tissu a servi à absorber à la morgue les substances fluides s`échappant du corps d'une femme assassinée à Guatemala City. Unique, 200 x 200 cm (78 3/4 x 78 3/4 pouces). Avec l’autorisation de l’artiste et de la Galerie Peter Kilchmann, Zurich. Photo : MBAC

L’exposition met aussi en vedette deux œuvres prêtées par le Musée des beaux-arts du Canada. Tela Bordada (2012), est une couverture brodée par des militantes autochtones du Guatemala confectionnée avec du tissu utilisé à la morgue pour envelopper le corps des femmes assassinées. La vidéo qui décrit la réalisation de la broderie a été présentée dans Sakahàn, une exposition organisée au MBAC en 2013. 

« Les œuvres du Musée des beaux-arts du Canada expriment un sentiment de révolte et de résilience, souligne John Zeppetelli. Ces femmes qui brodent un tissu souillé font délibérément acte de résistance devant cette épouvantable violence qui ne semble jamais cesser. » 

Au total, l’exposition rend un hommage aussi envoûtant que délicat aux victimes disparues et oubliées. « La démarche artistique de Teresa expose habilement les difficultés d’une société toute entière en entretenant et célébrant de façon symbolique, magnifique et convaincante la mémoire de ces victimes muettes. »

Teresa Margolles : Mundos est à l’affiche jusqu’au 14 mai 2017 au Musée d'art contemporain de Montréal.

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