Glyde et Schaefer : visions du Canada

Carl Schaefer, Maison de ferme ontarienne, 1934. Don de Floyd S. Chalmers, Toronto, 1969. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession Carl Schaefer Photo: MBAC; H.G. Glyde, Camp de mineurs, Canmore, Alberta, 1950. Morceau de réception à l'Académie royale des arts du Canada, déposé par l'artiste, Edmonton, 1950. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession H.G. Glyde Photo: MBAC
Deux tableaux du Musée des beaux-arts du Canada sont séparés par 16 ans, 3 500 kilomètres et, depuis peu, par environ 20 mètres. Ils sont liés, cependant, par des attaches solides bien réelles, quoique moins quantifiables.
Carl Schaefer peint sa toile de la maison de ferme de ses grands-parents en 1934 à Hanover, en Ontario, tandis qu’Henry George (« H.G.») Glyde termine sa peinture d’un camp de mineurs en 1950 à Canmore, en Alberta. Aujourd’hui, ces tableaux sont accrochés dans la même salle au Musée, et tous deux illustrent un certain regard régionaliste qui prend alors forme aux États-Unis (de manière plus structurée) et au Canada (plus informelle).
Les deux artistes mettent à profit ce qu’ils ont appris sur l’art pour œuvrer dans une nouvelle direction. Si le Groupe des Sept a déjà ouvert la voie à la création d’une identité visuelle nationale, Hyde et Schaefer rêvent d’expressions régionales, ce malgré une relation très différente à ces régions.

Carl Schaefer, Maison de ferme ontarienne, 1934. Huile sur toile, 106.5 x 124.7 cm. Don de Floyd S. Chalmers, Toronto, 1969. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession Carl Schaefer Photo: MBAC
Schaefer voit le jour à Hanover, en Ontario, en 1903. Sa mère décède alors qu’il est encore enfant, et il est envoyé chez ses grands-parents dans la maison de ferme qu’il représentera un jour sur la toile. La grande importance qu’il attache à cette maison est manifeste quand, bien des années après, il revient avec sa famille y passer les étés; sa peinture, empreinte de tendresse et de nostalgie, l’illustre parfaitement.
Dans le tableau de Schaefer et son esquisse à l’aquarelle, la maison est bâtie sur un terrain surélevé et présentée au spectateur comme un véritable trésor familial sur un cabinet de présentation. Son caractère immuable est évoqué par la juxtaposition d’arbres verts et vigoureux et d’un arbre mort, squelettique, sur la droite. La maison est massive, solide et chaleureuse à la fois, sorte de cœur battant de la ferme comme étant un espace plus vaste de croissance et de renouvellement. L’angularité du ciel dans la peinture est peut-être un hommage aux cieux si vivants d’Emily Carr et de Lawren S. Harris, mais à la fois une impulsion vers autre chose, une identité différente, plus régionale.

Carl Schaefer, Maison de ferme ontarienne (La maison Voelzing, Hanover), 1934. Aquarelle sur mine de plomb sur papier vélin, 38.2 x 51.4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession Carl Schaefer Photo: MBAC
Schaefer s’inscrit à l’Ontario College of Art en 1921 et est grandement influencé par le Groupe des Sept, ayant comme professeurs Arthur Lismer et J.E.H. MacDonald. Plus tard, MacDonald le présentait à Harris et A.Y. Jackson. Le Groupe des Sept a certes défini comment on voit le Canada, mais une bonne partie du pays demeure invisible dans ses œuvres. Quelques années seulement après sa sortie du collège, Schaefer va s’écarter de la nature emblématique, vision fondatrice du Groupe, pour orienter ses intérêts vers les agriculteurs, leurs champs et la vie rurale.

Carl Schaefer, Moisson d'été à Hanover, 1935. Huile sur toile, 86.8 x 125.2 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession Carl Schaefer Photo: MBAC
Maison de ferme ontarienne a valu à Schaefer une réputation nationale, et le conservateur Dennis Reid qualifiera l’œuvre, avec les autres peintures d’Hanover de l’artiste – dont Moisson d’été à Hanover (1935) dans la collection du Musée et Storm Over The Fields [Orage sur les champs] (1937) dans la collection du Musée des beaux-arts de l’Ontario – de « série d’images les plus touchantes peintes au Canada dans les années 1930 ».
Trois ans plus jeune que Schaefer, H.G. Glyde naît en 1906 à Luton, en Angleterre, et entre en 1926 à la Royal College School of Design à Londres. Il s’intéresse à l’art méridional français du XIIe siècle et à l’art gothique italien des XIIIe et XIVe siècles. On sent ces influences dans des œuvres de jeunesse comme The Resurrection [La résurrection] (1927–1928), avec ses personnages rigides massés autour de l'action, et Country Dance [Danse à la campagne] (1935), ainsi que Fête de saucissons grillés (1936), dans la collection du Musée, bien que les figures en pleine liesse collective soient indubitablement plus modernes.

H.G. Glyde, Fête de saucissons grillés, 1936. Gouache sur mine de plomb sur papier vélin, 28.6 x 38.8 cm. Don de la succession de l'artiste, 1999. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession H.G. Glyde Photo: MBAC
En 1935, Glyde s’installe avec sa jeune famille à Calgary pour enseigner le dessin au Provincial Institute of Technology and Art (aujourd'hui l'Alberta University of the Arts) pour une année. Ils ne repartiront jamais. Lui a un coup de cœur pour le paysage de l’Ouest canadien et décrit un territoire « fermement adossé au flanc oriental des Rocheuses […] [qui] marque la fin des grandes plaines et dévoile les formes ondoyantes des contreforts […] ».
Glyde emploie le terme « régional » avec ses étudiants et les invite à puiser leur inspiration dans leurs propres collectivités. Cette inspiration est sans équivoque dans son camp de mineurs, aux maisons en planches de bois brut et aux tons terreux rustiques, comme si elles étaient nées du paysage lui-même. Leurs lignes droites contrastent joliment avec le chemin de terre sinueux ou les longues herbes, disposées de chaque côté comme les cheveux ébouriffés d’un homme à l’aise tel qu’il est.

H.G. Glyde, Camp de mineurs, Canmore, Alberta, 1950. Huile et tempéra sur toile, 77 x 86.5 cm. Morceau de réception à l'Académie royale des arts du Canada, déposé par l'artiste, Edmonton, 1950. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Succession H.G. Glyde Photo: MBAC
Il n’y aura pas au Canada de mouvement « régionaliste » organisé, contrairement aux États-Unis où des artistes tels Grant Wood et Thomas Hart Benton ont une influence certaine, même si aucun de ces créateurs ne travaille de façon isolée. Les champs et les arbres dans l’œuvre de Schaefer partagent couleur et composition avec des toiles comme le chef-d’œuvre de Wood, Fall Plowing [Labour d’automne] (1931). La fille de Glyde, Helen Collinson, écrira que les créations de son père et de Benton ont en commun un contenu narratif et des figures expressionnistes, bien que Benton, précise-t-elle, s’inspire des rythmes « saccadés, frénétiques » du jazz alors que le travail de son père est plus fin et détaillé, plus « baroque ». En fin de compte, chaqu'un des deux artistes canadiens aura eu sa propre vision qui rend sa production unique, ce même avec des liens essentiels à travers le temps, le style et tous ces kilomètres.
Pour plus de détails sur les œuvres de Carl Schaefer et H.G. Glyde dans la collection du Musée des beaux-arts du Canada, consultez la collection en ligne. Partagez cet article et abonnez-vous à nos infolettres pour demeurer au courant des derniers articles, expositions, nouvelles et événements du Musée, et en apprendre plus sur l’art au Canada.