L’art des nuages
Qui parmi nous ne s’est pas imaginé un jour rebondissant sur les formes ondoyantes des nuages? L’été, couchés dans l’herbe, nous sommes fascinés par leurs contours et couleurs qui évoluent sans cesse. Pourquoi certains apportent-ils la pluie, pourquoi se dissipent-ils, et où disparaissent-ils? Ambiances et configurations multiples, beauté pure, les nuages fascinent les artistes depuis des siècles. Leur attrait est évident. Ils sont les philosophes du ciel, incarnations de la nature fugace et fluctuante de l’existence. Ils personnifient l’inconnaissable et l’inatteignable, véhiculant des significations et émotions différentes – de l’enchantement au désarroi – pour qui les regarde. En clin d’œil à cette saison d’observation des nuages, voici quelques œuvres canadiennes de la collection du Musée inspirées de ce phénomène fugitif.
Dans Champs de chaume (v. 1912), seule une petite grappe de nuages orne le ciel, et néanmoins l’œil est attiré par leur mouvement léger, telles des plumes surplombant cette scène de récoltes. Helen McNicoll (1879–1915) était réputée pour ses tableaux lumineux, et cette pièce est un excellent exemple des talents impressionnistes pour lesquels elle est reconnue. Peintes avec des traits nerveux de couleurs vives, les prairies de fauche rayonnent sous le soleil, alors que trois personnages sont visiblement absorbés par leur tâche. Même s’il s’agit pour l’essentiel d’une scène de travail, le ton de l’œuvre, avec ses volutes de nuages, est empreint de sérénité. McNicoll a perdu l’ouïe dans l'enfance, suite de la scarlatine, et le fait d’évoluer dans un monde de silence a peut-être contribué à ses sensibilités artistiques, ainsi qu’au calme absolu qui émane de ses toiles. Si elle a dû composer avec les inégalités sociales en tant que jeune femme menant carrière à une époque où le travail des artistes féminines était moins valorisé que celui de leurs homologues masculins, McNicoll s’est distinguée durant sa courte vie tant au pays que sur la scène internationale par ses portraits intimes de la vie domestique et ses paysages ruraux évocateurs aux nuages resplendissants qui vont leur chemin.
Autre habitué des scènes méditatives et de la lumière douce, le Québécois Ozias Leduc (1864–1955) était en grande partie autodidacte. Célèbre pour ses murales d’église et ses peintures profanes comme L’enfant au pain (1892–1899) et Pommes vertes (1914–1915), Leduc était tout aussi doué en dessin. Dans son Nuages dans la lumière (Imaginations no 26), il transforme un paysage de campagne avec des amas de nuages luminescents déployant leur essence plus grande que nature en sortant de la feuille. Ce dessin aux dimensions réduites fait partie de ce petit bijou de plus de cinquante croquis de paysages qu’est la série Imaginations – certains réalistes, d’autres, abstraits – réalisée par l’artiste entre 1936 et 1942.
Lors de la création d’Imaginations, Leduc, alors septuagénaire, a travaillé de mémoire plutôt qu’en plein air. Il en résulte que nombre des dessins, dont les sujets varient grandement, du clair de lune à l’arc-en-ciel en passant par les aurores boréales, ont une dimension onirique. Personnalité mystique et solitaire, Leduc s'attachait à comprendre les mystères de l'univers et de l'existence humaine. Avec son mélange d’ombre et de clarté, Nuages dans la lumière, dessiné à main levée, est une vision contemplative qui laisse le champ libre à l’imagination du spectateur.
Les phénomènes cosmologiques et météorologiques ont également captivé l’influent artiste multidisciplinaire Paterson Ewen (1925–2002). Connu pour ses œuvres grand format sur contreplaqué toupillé, Ewen a exploré les thèmes des nuages et des tempêtes dans diverses techniques. La lithographie Nuage orageux comme générateur fait partie de la série Nuages orageux, produite par l’artiste au début des années 1970 et qui s’intéresse aux événements naturels associés au cycle hydrologique, dans laquelle il fait référence à des manuels scientifiques comme documents sources. En particulier, l’œuvre illustre comment les nuages s’électrisent : un énorme nuage orageux déverse la pluie sur les collines et les arbres. Au-dessus du paysage, des symboles (notamment des flèches et des signes plus et moins représentant les charges positives et négatives) expliquent le mécanisme de la pluie.
Les études tumultueuses des forces atmosphériques d’Ewen ont été interprétées comme des investigations psychologiques sur l’expérience humaine, y compris sur les combats de l’artiste contre la dépression. En même temps, les marques schématiques sur ces œuvres créent un ordre du chaos, rationalisant les manifestations climatiques. Peut-être que la libération de la pluie par les nuages d’orage – libération par l’énergie – apportait également un soulagement intérieur à Ewen.
Ces dernières décennies, des artistes contemporains ont travaillé sur le thème des nuages sous l’angle de la santé de notre planète. Nuage foncé, photographie augmentée de Sarah Anne Johnson, traite de notre rapport à l'environnement et de notre impact sur lui. Par la magie des encres acryliques et de la gouache sur une épreuve à développement chromogène, l’allure d’un nuage mystérieux planant au-dessus de la mer sur fond de ciel rosâtre est impressionnante, mais le message est pourtant sombre.
L’œuvre fait partie de la série Pays des merveilles arctiques créée par l’artiste à l’occasion d’un voyage dans le Grand Nord à bord d'une goélette à deux mâts. Johnson qualifie son périple en mer vers le cercle arctique « d’une beauté et d’un sublime à couper le souffle. Tout semblait tellement vierge et parfait, vaste et puissant, mais aussi délicat et fugace ». Alliant expérience personnelle et préoccupation pour l’environnement, Johnson, avec son nuage apocalyptique à l’horizon, évoque un désastre écologique imminent, donnant un avant-goût des dommages irréversibles causés par l’exploitation des ressources et le réchauffement planétaire. C’est une prise de position dramatique qui remet en question nos choix quant à la voie à suivre et un plaidoyer pour sauver l’écosystème arctique.
Membre de la Nation mohawk de Tyendinaga de la baie de Quinte, Hannah Claus, tout comme Johnson, crée des œuvres qui s’intéressent à l’interdépendance entre vie humaine, terre, ciel, eau, air, plantes et animaux et nous pressent de prendre conscience de nos responsabilités communes les uns envers les autres et envers la nature. Présentée récemment au Musée lors de l’exposition internationale d’art autochtone Àbadakone | Feu continuel / Continuing Fire, son installation éphémère nos esprits sont un est constituée d’un dôme tridimensionnel de plus de trois mètres de large fait de disques brillants suspendus par des fils et imprimés d'images représentant le ciel, des arbres, le trottoir et le sol.
Il s’agit de l’une des nombreuses œuvres de « nuages » de Claus, qui présente sa perspective haudenosaunee sur le dôme céleste, ou plat retourné, qui donne à chaque partie de la création, même la plus infime, la même valeur. Ensemble, ces éléments distincts forment un tout. Les disques suspendus par des fils sont une allusion aux traditions autochtones de perlage et à la manière dont les ceintures et la diplomatie wampums – dans ce cas-ci, l’iconographie du plat à une cuillère – continuent à influencer le travail des artistes autochtones contemporains. Le public est invité à s’immerger physiquement dans l’œuvre : traverser l’installation a un effet sur le nuage lui-même, les disques oscillant dans les airs marquant l’interconnectivité de nos actions et à quel point le plus imperceptible de nos mouvements a une incidence sur notre environnement.
En déambulant dans le Musée, on perd le compte des nombreuses œuvres où les nuages sont présents : nuages qui prennent des couleurs extraordinaires et diffusent la lumière, à l’aube, dans des études de ciel, sculptés ou encore porteurs de neige. Chacun raconte sa propre histoire ou – dernièrement – un récit de prudence. Un monde sans nuages semble chose impossible. Alors que leur disparition est évoquée dans le cadre des changements climatiques, une telle absence pourrait devenir un sujet récurrent chez les artistes, nous rappelant à la vigilance.
À la gloire des nuages, trouvons-nous un coin d’herbe, allongeons-nous et prenons une minute pour assister à un spectacle que nous pourrions bien ne plus revoir.
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