Rembrandt van Rijn, détail de Saint Jérôme lisant au pied d'un arbre, 1634. Eau-forte sur papier vergé, 10.9 x 9 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

Deux eaux-fortes de Rembrandt van Rijn et l'art d'être humain

L’immense œuvre de Rembrandt van Rijn comprend, outre près de 400 tableaux et plus de 1000 dessins, quelque 300 eaux-fortes réalisées sur la durée de sa carrière. La volonté du Musée des beaux-arts du Canada de collectionner des œuvres de Rembrandt remonte à 1913 avec l’acquisition de deux premières eaux-fortes de l’artiste, Saskia avec des perles dans les cheveux (1634) et Autoportrait avec Saskia (1636). Depuis, la collection s’est enrichie pour comprendre aujourd’hui deux tableaux, deux dessins et un total de quarante estampes. Ces œuvres ont récemment été rejointes par deux eaux-fortes supplémentaires : Saint Jérôme lisant au pied d’un arbre (1634) et L’espiègle (1642).

Rembrandt van Rijn, Saint Jérôme lisant au pied d'un arbre, 1634. Eau-forte sur papier vergé, 11.2 x 9.1 cm; image: 10.9 x 9 cm. Acheté en 2016 avec l'appui du fonds des Amis du Cabinet des estampes du Musée des beaux-arts du Canada, en l'honneur de Pamela Osler Delworth (fondatrice et première présidente des Amis du Cabinet d'étude, 1997–2008). Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

Les images religieuses constituent la moitié du fonds d’eaux-fortes de Rembrandt au Musée. La production graphique globale de l’artiste comprend pas moins de sept eaux-fortes de saint Jérôme, un sujet que l’artiste n’a jamais représenté en peinture. Un des quatre Docteurs latins de l’Église catholique, Jérôme, admiré pour ses longs commentaires portant sur la vie morale chrétienne et ses traductions de textes anciens, était une figure religieuse populaire auprès d’artistes éminents à compter de la Renaissance, tels Albrecht Dürer, le Titien et le Caravage. Il est généralement représenté dans la lecture ou dans le désert, souvent accompagné d’un lion devenu son fidèle compagnon après que l’ermite eût guéri la patte de l’animal blessé.

Le Saint Jérôme lisant au pied d’un arbre nouvellement entré dans la collection vient compléter l’autre composition à l’eau-forte du Musée sur l’ermite érudit, Saint Jérôme à côté d’un saule commun (1648), achetée en 1968. Toutes deux sont campées dans un paysage et représentent le saint avec son lion. La plus récente est une composition dépouillée centrée sur un saule, alors que la plus ancienne, réalisée quatorze ans auparavant, est plus dense, bien que de format plus réduit. Dans cette œuvre, le théologien barbu est dans un paysage chargé, boisé, assis à la base d’un arbre, un livre imposant sur les genoux. Le lion veille farouchement sur le saint en montant la garde devant lui et faisant les gros yeux au spectateur. Une gourde d’eau pend au tronc de l’arbre alors que le crâne d’un petit animal, sans doute un rappel de la futilité de la vie, apparaît dans le coin inférieur droit. Avec le traitement attachant de son sujet, cette œuvre est un exemple parfait de la faculté qu’avait Rembrandt d’humaniser les personnages religieux.

Rembrandt van Rijn, Saint Jérôme à côté d'un saule commun, 1648. Estampe, eau-forte et pointe sèche sur papier vergé, 19.3 x 13.3 cm; planche: 18 x 13.2 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

L’eau-forte Saint Jérôme lisant au pied d’un arbre du MBAC a déjà appartenu à l’acteur, peintre et caricaturiste britannique aux multiples talents Robert Dighton (1752–1814), dont l'impression du célèbre Moulin de Rembrandt, de 1641, est également dans la collection du Musée. Les deux estampes portent la marque de collectionneur de Dighton, sous la forme d’une palette et de pinceaux de peintre. Le Saint Jérôme a plus tard appartenu au collectionneur d’art de Liverpool Daniel Daulby, auteur du Descriptive Catalogue of the Works [etchings] of Rembrandt and His Scholars en 1796 et dont la collection d’eaux-fortes de Rembrandt était considérée comme la meilleure en Grande-Bretagne à son époque.

Rembrandt van Rijn, L'espiègle, 1642. Etching and drypoint on beige laid paper, 11.8 x 14.9 cm. Don de la succession d'Eileen Ewachow, Toronto, 2015 en l'honneur d'Eileen et Steve Ewachow. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo: MBAC

L’espiègle (1642) est aussi un ajout d’importance à la collection nationale, car les scènes de la vie quotidienne par Rembrandt sont les moins bien représentées dans la collection d’estampes du MBAC, avec seulement six œuvres. Appelées « scènes de genre », elles montrent généralement les activités quotidiennes de gens ordinaires comme les mendiants, les vagabonds, les charlatans et les musiciens de rue. L’espiègle mélange une thématique nettement plus idyllique à un contenu légèrement plus érotique. S’il s’agit de prime abord d’une scène pastorale amoureuse traditionnelle, on y voit un joueur de flûte vigoureux jeter un œil à la dérobée sous la jupe d’une bergère sans méfiance en train de tresser une guirlande de fleurs. L’intention licencieuse du musicien est exprimée par un troupeau frénétique derrière lui et la chouette (symbole de la folie) sur son épaule, singeant son acte de voyeurisme. Si les sous-entendus de nature érotique sont courants dans ce genre de scène, une telle lubricité est inhabituelle et, comme le spécialiste Christopher White le soulignait dans Rembrandt as an Etcher (1969), elle constitue la première manifestation de contenu sexuel dans les eaux-fortes de Rembrandt. En ce sens, cette composition met en lumière tout le talent de Rembrandt dans la représentation réaliste de la salacité.

Les deux œuvres illustrent bien la perspicacité de Rembrandt face à la nature humaine. Comme l’historien de l’art Ernst Gombrich le précise dans Histoire de l’art (1995 ed): « Ces regards pénétrants et sérieux, que nous connaissons si bien par les autoportraits de Rembrandt, devaient être capables de scruter directement le coeur humain. » En créant des images d’hommes et de femmes, saints ou profanes, dans toute leur humanité et inhumanité, Rembrandt touche le public depuis près de quatre cents ans.

 

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