Pierre Bonnard retrouve la lumière
Pierre Bonnard, Autoportrait, 1945, huile sur toile, 56 x 44 cm. Fondation Bemberg, Toulouse
Tombé dans l’oubli après son décès survenu en 1947, Pierre Bonnard connaît aujourd’hui un regain de succès bien mérité.
Si l’œuvre du peintre français n’a guère attiré l’attention durant la quarantaine d’années qui ont suivi sa mort, l’exposition organisée par le Centre Pompidou en 1984, à Paris, a suscité un nouvel intérêt pour ses interprétations personnelles et lyriques des êtres, des lieux et des objets qui ont animé son quotidien.
Parions que la nouvelle exposition du Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) à Québec, Pierre Bonnard. La couleur radieuse, servira le génie de Bonnard tout en séduisant de nouveaux adeptes. L’exposition, qui prendra l’affiche uniquement au MNBAQ en Amérique du Nord, est aussi la toute première rétrospective de l’artiste à être présentée au Canada. Réunissant quarante-deux toiles, quarante-trois photos et vingt-deux œuvres sur papier venant des collections de trente-trois prêteurs de huit pays, La couleur radieuse offre un important survol de l’œuvre de l’un des plus fascinants postimpressionnistes.
Pierre Bonnard, Paysage du Midi et deux enfants, 1916–1918, huile sur toile, 139,1 x 198,1 cm. Musée des beaux-arts de l’Ontario, Toronto, don de Sam et Ayala Zacks, 1970 (71/62)
Le commissaire André Gilbert croit que les Canadiens qui ne connaissent pas encore Bonnard n’auront aucun mal à l’aimer. « Sa peinture est très séduisante et il n’est pas nécessaire de connaître à fond l’histoire de l’art pour apprécier et aimer son travail », explique-t-il en entrevue avec Magazine MBAC.
Né en 1867 dans une famille aisée de la classe moyenne, Bonnard fait des études de lettres classiques et de droit tout en suivant des cours d’art. Et s’il obtient sa licence en droit en 1888, il décide cependant rapidement de devenir un artiste à part entière et obtient ses premiers succès comme graveur et affichiste.
Bonnard a une vingtaine d’années lorsqu’il fonde avec d’autres artistes le groupe des Nabis, un mouvement à la fois éphémère et influent des années 1890. Les Nabis (en hébreu, « prophètes ») sont des postimpressionistes fortement imprégnés de Symbolisme qui se tiennent pour une sorte de société secrète possédant son propre langage. Tous les membres du groupe reçoivent des surnoms, et Bonnard devient le « Nabi très japonard » en raison de sa fascination pour les estampes japonaises et de leur influence sur son travail.
Pierre Bonnard, Marthe à la nappe blanche, 1926, huile sur toile, 69 x 54 cm. Collection Winter
En 1910, Bonnard quitte l’agitation parisienne et se retire pour vivre dans un isolement relatif à la campagne. Il développe alors un style extrêmement personnel et subjectif qui se distingue par une utilisation audacieuse de la couleur. En fait, le caractère intimiste de ses compositions est surtout le fruit de sa décision de quitter la vie urbaine. André Gilbert précise que « pendant cinquante ans, son premier sujet sera sa femme », Marthe, qu’il représente entre autres dans Nu de profil (1917) et Marthe à la nappe blanche (1926).
Les visiteurs pourront se faire une idée de la diversité de son talent puisque l’exposition réunit à la fois (selon une trame chronologique et thématique) des œuvres de jeunesse et de maturité et une sélection d’œuvres exécutées selon différentes techniques. Ils découvriront ainsi une grande variété de peintures à l’huile, d’illustrations et d’aquarelles, ainsi qu’une quantité de photos prises par l’artiste dont plusieurs décrivent des sujets qui figureront dans ses compositions ultérieures.
Prêté par le Musée des beaux-arts du Canada, Le port de Cannes (1927) a été peint par Bonnard après l’achat d’une villa située à quelques kilomètres au nord de cette cité balnéaire de la Côte d’Azur. Selon le commissaire, l’huile est « représentative de sa peinture des environs de Cannes à l’époque », mais elle est aussi typique de son approche de la lumière et de la couleur avec ses bleu-violet ourlés de jaune du ciel tourmenté, les faibles contrastes de son plan intermédiaire et la clarté éblouissante des bateaux tirés au sec sur la grève.
« Ce qui m’intéresse, c’est de voir que la couleur est utilisée d’une façon, dirais-je, très arbitraire, note André Gilbert. Ici les tons de bleu dominent, ce qui montre bien que la couleur sert à exprimer plutôt qu’à décrire. »
Pierre Bonnard, Pont du Carrousel, 1903, huile sur toile, 72,39 x 99,38 cm. Los Angeles County Museum of Art, don de M. et Mme Sidney F. Brody (M.67.3)
Cette approche de la couleur illustre à son tour la théorie de Bonnard : « Il ne s'agit pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture. » Autrement dit, le rôle de l’artiste n’est pas de recréer objectivement le réel, mais d’utiliser la peinture pour saisir et exprimer l’atmosphère implicite d’un instant.
« C’est surtout ce qu’il faut retenir pour comprendre Bonnard, ajoute André Gilbert. Il pratique encore une peinture figurative, mais ses références au réel disparaissent à mesure qu’il vieillit. Pour lui, le plus important est de créer des relations chromatiques et d’exploiter la qualité expressive de la couleur. À ses yeux, le principal n’est pas le sujet, mais la couleur, et c‘est ce qui fait de lui un peintre très moderne. Sa peinture devient très radicale à la fin de sa vie. »
Pierre Bonnard, Porte du jardin de la villa Le Bosquet, Le Cannet, 1944. Huile sur toile, 52,7 x 64,2 cm. Muskegon Museum of Art, Michigan
Cette utilisation saisissante et délibérée de la couleur se manifeste aussi dans d’autres toiles telles que Coin de table (1911), Paysage du Midi et deux enfants (1916–1918) et Porte du jardin de la villa Le Bosquet, Le Cannet (1944). Chacune présente un chatoiement de combinaisons chromatiques soigneusement étudiées, qu’il s’agisse des tonalités bleues et jaune-orange vaguement troublantes de Paysage du Midi ou de l’explosion de jaunes, de verts et de bleus de Porte du jardin.
Bien qu’ancré dans son environnement immédiat, Bonnard n’est pourtant pas du genre à vivre coupé des autres artistes. Dès le début de sa carrière, il est recruté par l’éditeur et collectionneur d’art Ambroise Vollard et exécute pour lui des illustrations destinées à un ouvrage du célèbre poète Paul Verlaine. Des années plus tard, il s’installera non loin de Claude Monet et entretiendra une longue correspondance avec un autre de ses voisins, Henri Matisse.
Pierre Bonnard, Le Déjeuner, 1932, huile sur toile, 68 x 84 cm. Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris
« Il avait de bons amis, précise André Gilbert. Mais je dirais malgré tout qu’il n’était d’aucune école. La société ne l’intéressait pas vraiment. Il s’occupait surtout de créer des peintures personnelles, intimes. »
Adulé par Matisse qui l’a qualifié de « grand artiste de notre temps », Bonnard a souvent été traité d’« Impressionniste insipide ». Mais il est impossible de résumer l’artiste à son utilisation de la lumière et de la couleur. Considéré, même à son époque, comme un peintre expérimental apprécié des peintres — et peut-être comme une sorte d’artiste que l’on finit par aimer —, Bonnard a fait taire ses critiques et certaines de ses toiles valent aujourd’hui plus de 15 millions de dollars.
Pierre Bonnard. La couleur radieuse est à l’affiche au Musée national des beaux-arts du Québec, à Québec, jusqu'au 15 janvier 2017. L’exposition sera également présentée du 10 février au 18 juin2017 au Palazzo Chiablese de Turin, en Italie.