
Côté jardin
Côté jardin.
Visite botanique audio de la collection du Musée
Une jardinière et historienne de l’art primée vous fait explorer les chefs-d’œuvre des collections d’art européen et canadien du Musée.
Sharilyn J. Ingram, ancienne présidente-directrice générale des Jardins botaniques royaux et ancienne directrice adjointe du Musée des beaux-arts de l’Ontario, anime cette présentation vive qui révèlera les secrets de la conception de jardins, de l’écologie et la symbolique de certaines plantes particulières par le biais de douze œuvres du début du XVIIe siècle à 1937.
Bienvenue dans ce guide de la collection du Musée des beaux-arts du Canada pour jardiniers.
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Je me considère avant tout comme une horticultrice, même si j’ai travaillé autant dans les musées d’art que dans les jardins botaniques. Mon expérience m’a appris que le jardinage éveille la sensibilité à la beauté et à la nature, et permet de mieux saisir la complexité et l’interconnexion qui régissent le monde – et, qu’on en soit conscient ou non, ce sont des qualités qui permettent une compréhension réelle de l’art.
J’ai choisi plusieurs œuvres auxquelles un jardinier devrait, à mon avis, être particulièrement sensible. Dans certains cas, je parlerai des plantes qui sont représentées, mais dans d’autres, je m’intéresserai plutôt à la conception du jardin, à l’écologie et à la signification symbolique des plantes. À travers tous ces exemples, j’espère que vous trouverez une approche différente pour percevoir l’intention de l’artiste, et matière à réflexion quant au rapport qui existe entre vous, l’œuvre d’art et notre compréhension de la valeur de la nature.
Je qualifie souvent le jardinage de discipline artistique la plus démocratique. Je souhaite que la perspective que je vous propose enrichisse votre vision des relations entre jardins et art.
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Jan (le jeune) Brueghel
Bouquet de fleurs dans un vase en faïence
v. 1625, huile sur chêne, 73 x 54,6 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
Lorsque l’on regarde cette toile, on est submergé par sa richesse et sa complexité, bouleversé par autant d’enchantement pour l’œil dans une même œuvre. Pourtant, de façon surprenante, ce tableau évoque également l’actualité de l’époque en matière de science, de commerce, de politique et de religion, le tout par l’entremise des fleurs.
D’abord, comme tout jardinier s’en apercevra, ces fleurs ne s’ouvrent pas toutes en même temps, et donc, la peinture montre un condensé des saisons au jardin. Lorsque Brueghel a peint cette toile, il a peut-être eu accès à une nouvelle ressource visuelle… le Florilegium, livre illustrant les plantes ornementales vivantes. La science de la botanique – l’étude des plantes – émerge à l’époque comme domaine distinct de la médecine, et, pour la première fois en Europe, on s’intéresse aux plantes pour leur beauté plutôt qu’uniquement pour leur utilité.
Ce n’est pas une coïncidence que cet hommage à la beauté florale survienne dans la foulée d’un extraordinaire enrichissement de la palette botanique européenne avec des apports en provenance du Nouveau Monde (comme les Tagetes, aujourd’hui ironiquement appelées roses d’Inde) et du Proche-Orient (dont les lys à fleurs en turban, ou Lilium chalcedonicum, et, évidemment, les tulipes).
Dès 1562, on trouve trace des tulipes dans la ville flamande d’Anvers, où vit la famille Brueghel. Et ce sont dans une large mesure les horticulteurs flamands qui vont alimenter la « tulipomanie », spéculation financière hollandaise sur la production de bulbes de tulipes, un marché qui va connaître un effondrement spectaculaire dans les années 1630. Brueghel a peint cette toile alors que cette spéculation allait croissant, bien que, avec des fleurs en train de faner et des pétales épars, il fasse allusion à la vanité et à la fragilité des choses de ce monde. Et cette évocation spirituelle est renforcée par la prédominance de fleurs ayant des liens évidents avec la contre-réforme : les lys de la Madonne, les roses, les iris sont tous des emblèmes de la Vierge Marie, alors que les anémones, les pensées et les lis rouges représentent la passion du Christ.
Tous ces niveaux de signification dans cette beauté presque palpable…
Hubert Robert
Jardin d’une villa italienne
1764, huile sur toile, 93,5 x 133 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
Aux yeux d’un jardinier, cette toile est moins intéressante qu’Hubert Robert, l’homme qui l’a peinte. Celui-ci illustre ici un mélange de caractéristiques d’un jardin de domaine italien du XVIIIe siècle – ouvrages en pierre, sculptures, végétation aux formes architecturales – dominé par l’allée centrale d’arbres maintenant devenus envahissants, et qui se dressent, presque menaçants. L’année suivant la réalisation de ce tableau, Robert rentre à Paris, où il devient rapidement peintre officiel du roi Louis XVI.
Probablement chargé de « tâches accessoires », Robert se voit confier la responsabilité de rénover les Bains d’Apollon, spectaculaire pièce d’eau dans les jardins royaux à Versailles. Le roi est à ce point satisfait des résultats qu’il nomme Robert « dessinateur des jardins du roi »; à partir de ce moment, ce dernier se partage entre peinture, architecture et conception de jardin avec une facilité apparente.
Pour la reine Marie-Antoinette, Robert crée les jardins d’inspiration anglaise du Petit Trianon à Versailles, ainsi qu’une laiterie aux allures de temple néoclassique au château de Rambouillet. Parmi les nombreuses commandes privées qu’il reçoit, notons celle de la tombe du philosophe et écrivain Jean-Jacques Rousseau sur l’île des Peupliers à Ermenonville, où est inscrit : « Ici repose l’homme de la nature et de la vérité ». Avec les ciels menaçants et la nature envahissante de Jardin d’une villa italienne, Robert cherche-t-il à créer une tension avec les autres éléments plus classiques de son tableau?
Joseph Légaré
Nature morte aux raisins
1826, huile sur toile, 94,9 x 126,4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
Est-ce une œuvre d’art qui, d’un point de vue botanique, vous semble réaliste? S’agit-il d’un paysage que vous reconnaissez? Que s’y passe-t-il ?
Parlons d’abord des raisins. Si Vitis riparia, l’une des vignes indigènes de l’Amérique du Nord, croît effectivement au Québec, elle produit de petits fruits sombres qui plaisent plus aux oiseaux qu’aux humains. Elle a servi à créer des hybrides rustiques, dont les cépages Baco Noir et Maréchal Foch. Cette toile est une représentation de l’européenne Vitis vinifera, qui selon toute vraisemblance, n’était pas cultivée au Québec au XIXe siècle.
On connaît la pratique de Légaré en matière de copies d’œuvres européennes. L’image des raisins, qui provient en fait d’un tableau italien de sa collection, a été superposée sur un paysage imaginaire. Toutefois, la végétation porte à réflexion : certaines feuilles vaguement palmées évoquent les érables, mais la plante piquante à gauche à l’avant-plan ressemble à une plante grasse semi-tropicale.
Aux époques classique et chrétienne, la vigne a des significations religieuses. En regardant la composition à travers une lentille spirituelle, peut-être sommes-nous en présence d’un paysage à connotation mystique.
William Brymner
Une gerbe de fleurs
1884, huile sur toile, 122,5 x 142,7 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Morceau de réception à l'Académie royale des arts du Canada, déposé par l'artiste, Ottawa, 1886. Photo : MBAC
Je n’ai pas été surprise d’apprendre qu’Une gerbe de fleurs est l’un des tableaux les plus populaires de la collection du Musée des beaux-arts. Par une journée maussade à Ottawa, particulièrement, on peut sentir la chaleur du soleil et le charme des fillettes, concentrées sur la fabrication de colliers de marguerites à partir des fleurs sauvages qui poussent sur une falaise du Yorkshire. La nature très commune des fleurs renforce cet attrait, tout le monde aimant la marguerite, de Shakespeare aux jeunes enfants; c’est d’ailleurs très souvent la première fleur que ceux-ci dessinent.
Celles qui sont illustrées ici sont probablement des grandes marguerites, anciennement appelées Chrysanthemum leucanthemum, et aujourd’hui Leucanthemum vulgare – ou du moins c’est le nom qu’on leur donne au moment où je prépare ce texte. Mais je suis prête à parier qu’un botaniste, quelque part, est en train de leur trouver un nouveau nom – et c’est pourquoi c’est un plaisir de les appeler simplement marguerites.
Des années après avoir peint cette œuvre, William Brymner suggérait que son attrait reposait en partie sur l’intemporalité de cette activité, à laquelle grands-mères et arrière-grands-mères se sont probablement adonnées depuis des siècles. Quoi qu’il en soit, à l’époque où il travaille à ce tableau, Brymner se plaint, dans une lettre à son père resté au Canada, que les fillettes qui posent comme modèles le rendent fou… peut-être une mise en garde sur les risques de combiner enfants et fleurs en espérant un résultat bien précis.
Henri Fantin-Latour
Bouquet de roses
1885, huile sur toile, 38,9 x 46,3 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
Renommé pour ses peintures florales, en particulier de roses, Henri Fantin-Latour accède à la postérité à la fin du XIXe siècle lorsqu’une rose centifolia rose pâle est nommée en son honneur, fleur toujours cultivée aujourd’hui.
La carrière de Fantin-Latour se déroule à une époque d’avancées en matière d’hybridation des roses. Sans doute encouragés par la célèbre roseraie de l’impératrice Joséphine à la Malmaison, les hybrideurs cherchent à allier la beauté et le parfum des roses anciennes à la longue floraison caractéristique des variétés moins rustiques en provenance de Chine. Le Bouquet de roses est peint en 1885, 18 ans après la création de la première rose dite « moderne ». Si, dans la toile, la forme des fleurs entièrement ouvertes illustre toute la plénitude et l’aspect relativement plat des roses anciennes, les fleurs partiellement écloses au centre et à la droite ont une structure convexe associée aux roses hybrides de thé, croisement moderne entre rose hybride perpétuelle et rose thé. Même s’il faut toujours douter d’une identification de plante à partir d’un tableau, je m’avancerai en suggérant que la fleur rouge foncé au centre est une rose ancienne appelée « Tuscany Superb ».
Traditionnellement, dans les natures mortes, l’image de la fleur déposée à côté du vase symbolise le caractère éphémère de la beauté terrestre. Avec cette œuvre, Fantin-Latour capte le charme évanescent des roses, pour que nous puissions admirer éternellement leur grâce sublime.
Vincent van Gogh
Iris
1890, huile sur carton aminci, collé sur toile, 62,2 x 48,3 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
La force de cette image évoque à mes yeux l’intense lien qui unit l’artiste et la nature. Le reste du monde disparaît... pas de ciel, ni d’allée, juste la touffe d’Iris germanica entourés d’herbe drue parsemée de ce que je pense être des fleurs dorées de Calendula officinalis (soucis).
Vous ne serez pas surpris d’apprendre que cette œuvre est l’une de celles que Van Gogh peint après son internement volontaire dans un asile de Saint-Rémy de Provence. Peindre est essentiel pour lui, et il trouve ses sujets dans le jardin de l’asile, où les grands iris barbus, très résistants, prospèrent dans le sol rocheux inondé de soleil. On parle aujourd’hui souvent de trouble déficitaire de la nature, d’hortithérapie et d’améliorations des taux de guérison chez les patients qui peuvent voir des espaces verts depuis leurs fenêtres, mais au XIXe siècle, la pratique consistant à favoriser l’exposition à la nature des patients souffrant de maladie mentale existe déjà.
Van Gogh est intimement convaincu que le fait de peindre la nature est bénéfique pour sa santé mentale, et il insuffle à ses intenses tableaux floraux des dimensions complexes de spiritualité, de souffrance, de renaissance et d’espoir.
Comme il l’écrit à son frère peu après son arrivée à l’asile, « comptant que la vie se passe surtout au jardin, ce n’est pas si triste ».
Helen McNicoll
Les boutons d’or
v. 1910, huile sur toile, 40,7 x 46,1 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Legs de Sylva Gelber, Ottawa, 2005. Photo : MBAC
J’aimerais remercier l’artiste d’avoir intitulé cette charmante œuvre Les boutons d’or, car j’aurais dû, sinon, me creuser la tête pour trouver ce qui pouvait bien se cacher derrière ces Compositae jaunes non identifiées. Le monde est rempli de petites fleurs jaunes, généralement de la famille des tournesols, ou Compositae; appelés à identifier ces plantes, même les scientifiques les plus éminents doivent parfois s’avouer vaincus.
Cela n’aurait de toute façon pas rendu justice au tableau de McNicoll, puisque les boutons d’or ne sont pas des Compositae, mais font partie des Ranunculaceae (aussi connues comme famille des boutons d’or ou des anémones). Le bouton d’or le plus commun, ou Ranunculus acris, reste une fleur des champs et pâturages; dans les jardins, on trouve plutôt habituellement la renoncule des fleuristes (Ranunculus asiaticus), un tubercule qui produit des fleurs doubles dans des teintes allant du rose vif au rouge profond, en passant par l’orangé.
D’après la date du tableau, je suppose qu’il s’agit d’une scène croquée en Angleterre, bien que les boutons d’or soient maintenant présents partout en Amérique du Nord. En Alberta, ils sont considérés comme une mauvaise herbe nuisible, un poison pour les animaux d’élevage, et il faut éviter qu’ils soient ingérés par des animaux de compagnie ou des enfants. La sève peut également irriter la peau, ce qui explique pourquoi le fait d’appuyer une fleur de bouton d’or sur le menton, afin de savoir « si on aime le beurre », peut occasionner une légère rougeur.
Et aucune de ces préoccupations ne transparaît dans cet idyllique tableau d’une mère et son enfant, non ?
J. E. H. MacDonald
Le jardin sauvage
1916, huile sur panneau de fibres, 121,4 x 152,4 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Don de W.M. Southam, F.N. Southam et H.S. Southam, 1937, à la mémoire de leur frère Richard Southam. Photo : MBAC
Si nous devions élire « l’image emblématique canadienne d’un jardin », nous choisirions probablement Le jardin sauvage. La place privilégiée qu’il occupe dans l’imaginaire canadien témoigne certainement de l’importance du Groupe des Sept, mais nous réagissons également à l’énergie et à la majesté de l’œuvre.
Le tableau a comme sujet le jardin de la maison des MacDonald à Thornhill, au nord de Toronto, mais le peintre a des visées plus vastes. Si le vocabulaire de ce jardin découle de la tradition du pavillon anglais, les plantations célèbrent la nature sauvage et l’exubérance, au contraire de modestes fleurs domestiquées aux tons pastel. Le tournesol, ou Helianthus, domine la toile, et les différents niveaux de lecture de l’œuvre peuvent symboliser la complexité des aspirations artistiques de MacDonald. Originaire du Nouveau Monde, le tournesol revêt des connotations religieuses, particulièrement en Amérique centrale. Importé au XVIe siècle en Europe, où il est principalement ressource alimentaire, le tournesol est immédiatement associé par l’amateur d’art au travail de Vincent van Gogh. Dans Le jardin sauvage, nous voyons, à travers une lentille d’histoire de l’art européenne, la force et la vigueur d’une plante indigène.
Le jardin automnal lance ses derniers feux avant le long hiver canadien. Le motif floral dominant fait peut-être référence au grand artiste qu’est Van Gogh, mais l’image qui en résulte est conçue pour représenter la vigueur et la majesté d’un Canada qui devrait être fier de ce pays magnifique.
Sarah Robertson
Décoration
1933, huile sur toile, 68,6 x 59 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Legs de Naomi Jackson Groves, Ottawa, 2002. Photo : MBAC
Je souris chaque fois que je regarde cette toile. Je note que l’artiste l’a intitulée Décoration, et non Jardin, et je ne m’attends pas à trouver son pareil dans une cour quelconque. Pourtant, il s’agit à mes yeux d’une transcription visuelle du plaisir que je peux ressentir en observant des fleurs une à une ou en remarquant comment les frondes d’une fougère suivent la courbe des clochettes d’une digitale (ou du moins, je crois bien que c’est une digitale, Digitalis purpurea albiflora, mais je peux me tromper).
Cette œuvre évoque également mon goût personnel pour les jardins blancs. Pour nous qui travaillons toute la journée, particulièrement, il est si agréable de rentrer à la maison à la tombée du jour, ou plus tard, à la clarté fraîche des fleurs blanches et au parfum de Nicotiana, entre autres, qui attirent les pollinisateurs nocturnes. Et l’ambiance très années 1930 de cette toile me rappelle l’un des plus beaux jardins du monde : le jardin blanc du château de Sissinghurst.
Il s’agit pour l’artiste d’un exercice plutôt technique, selon moi, avec une palette restreinte, des formes particulières et une bordure définie. Mais n’est-ce pas là l’essence même de la création d’un jardin?
Prudence Heward
Molènes et rochers
v. 1933-1936, huile sur contre-plaqué, 30,3 x 35,6 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Don de la famille Heward, Montréal, 1948. Photo : MBAC
J’aime la façon dont Prudence Heward représente les plantes. Dans son œuvre, celles-ci ont substance et corps, comme s’il nous fallait absolument remarquer leur importance. Dans ce tableau, les deux molènes (ou Verbascum) s’affirment face aux imposants rochers qui les entourent.
Et la présence des molènes dans cet environnement naturel canadien témoigne de l’invasion de l’Amérique du Nord par des espèces florales non indigènes apparues avec la colonisation européenne.
Même dans son habitat d’origine, ce qui distingue une mauvaise herbe d’un trésor horticole n’est toujours qu’affaire de perception. Bien que Verbascum soit d’abord vue comme une plante de jardin quelconque, au début du XXe siècle, Gertrude Jekyll, sommité en horticulture, l’utilise dans ses célèbres plantations pour les qualités architecturales que lui confère sa hauteur, ainsi que pour le mariage du feuillage argenté et de la fleur jaune. Des gourous contemporains des jardins anglais comme Beth Chatto et feu Christopher Lloyd vont eux aussi vanter l’adaptabilité de la plante à des conditions de croissance difficiles.
Les pépinières vont dès lors proposer de nouveaux cultivars, dont les fleurs vont de l’abricot au rouge framboise. J’ai moi-même consacré temps et argent à tenter d’introduire ces nouvelles couleurs dans mon jardin, mais elles périclitent et disparaissent rapidement, alors que les jaunes continuent à fleurir tout naturellement.
Et ici, dans le tableau d’Heward, elles resplendissent à tout jamais, solides et pleines de vie.
L. L. FitzGerald
Vision des Prairies
v. 1934, huile sur toile, 34,8 x 42,6 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
LeMoine FitzGerald, dont toute la vie se déroulera à Winnipeg, développe au cours des étés passés à la ferme de ses grands-parents une passion pour la prairie. La ferme est située près de Snowflake, au Manitoba (au sud-ouest de Winnipeg, tout juste au nord de la frontière avec les États-Unis). Les visiteurs habitués au stéréotype de prairies planes et monochromes seront peut-être surpris par les couleurs et la composition de ce tableau.
La plante que j’ai immédiatement remarquée est la tige porte-graines brune au centre de la toile, et je l’identifierais a priori comme Dipsacus fullonum, la cardère des bois, non autochtone, aujourd’hui répandue dans toute l’Amérique du Nord. Face aux difficultés présentées par la perspective raccourcie et le feuillage stylisé, j’ai consulté un collègue pour m’aider à mieux reconnaître les végétaux. Il a répondu : « Je vois un pénis et une vulve ».
Ceci donne au titre, Vision des Prairies, une tout autre signification. Pour la majorité d’entre nous, la première exposition à la reproduction sexuée (par opposition à la reproduction végétative, alternative en horticulture) ne concerne pas les oiseaux ou les abeilles, mais bien les étamines et les pistils de la fleur. De tout temps, les fleurs ont eu une portée symbolique et, au XXe siècle, les peintures florales de Georgia O’Keeffe sont devenues une référence en matière de célébration de la sexualité.
Cette interprétation détourne-t-elle les intentions de l’artiste? Je ne le crois pas, étant donné que l’artiste FitzGerald a fait cadeau de cette œuvre à une femme avec qui il avait une liaison à l’époque. Mais elle m’a certainement amené à poser sur le tableau un regard nouveau et appréciatif.
David B. Milne
Fleurs de l’érable
1937, huile sur toile, 30,7 x 35,9 cm. Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC
Malgré les nombreux paysages qu’il a peints et son engouement de jeunesse pour la botanique, David Milne a toujours affirmé privilégier dans son art les questions formelles : « traits, espace, teintes, valeurs et relations », comme il le disait. En regardant cette toile austère, on peut voir toute l’intelligence et la rigueur qui guident les formes contre lesquelles sont appuyées les branches d’érable, dans une étude quasi monochrome.
Et pourtant... les fleurs d’érable explosent de couleurs. Unique parmi les arbres de cette famille dans cette partie de l’Amérique du Nord, l’érable rouge (Acer rubrum) présente de petites grappes tombantes de fleurs rouges et orangées qui sortent au début du printemps, quand la plupart des autres arbres sont encore nus. Cet érable est monoïque, ce qui signifie qu’il porte à la fois des fleurs mâles et femelles, sur des branches différentes, comme on peut le voir dans le tableau.
Plus je regarde cette œuvre, plus j’y trouve des symboliques. Je suis certainement influencée par le fait que Milne l’a peinte au moment où il a fait la connaissance d’une femme beaucoup plus jeune, qui allait devenir sa seconde épouse. La nature peut incarner nos sentiments.
Ou n’est-ce qu’une question de formes et de traits ? À vous de décider.

Photo : Mario P. Menard
Sharilyn J. Ingram
Nouvellement retraitée du corps professoral à la Marilyn I. Walker School of Fine and Performing Arts (Brock University), Sharilyn J. Ingram a été présidente et chef des opérations des Royal Botanical Gardens du Canada et directrice adjointe du Musée des beaux-arts de l’Ontario.
Originaire de l’Alberta, elle a occupé divers postes dans le domaine muséal au Canada et a reçu en 2005 le titre de « Fellow » de l’Association des musées canadiens. Invitée à l’échelle internationale à prononcer des conférences sur la rencontre entre l’art et les jardins, elle porte un intérêt historique particulier à Claude Monet et Giverny.
Elle vit dans la région de Niagara où son jardin personnel lui a valu un prix Trillium.