Collectionner des cartes : autour de la carte-de-visite

André-Adolphe-Eugène Disdéri, Mme C. Howland, v. 1860

André-Adolphe-Eugène Disdéri, Mme C. Howland, v. 1860, épreuve à l’albumine argentique, 19,9 x 23,1 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

 

Saviez-vous que la carte d’affaire est apparue au XVIIe siècle en Europe ? Aussi appelée carte d’adresse, elle portait le nom, les coordonnées et l’emblème de son propriétaire. Les gens se l’échangeaient lors de rencontres sociales et les commerçants en distribuaient à leurs clients.

 

En photographie, la carte-de-visite est une forme de portrait, également destiné à l’échange, dont l’histoire remonte à la deuxième moitié du XIXe siècle. Avant son existence, les photographes produisaient des daguerréotypes et des positifs directs au collodion (ambrotypes) pour réaliser le portrait d’une personne. Ces procédés permettaient d’obtenir une image unique, difficile à reproduire, à moins d’être rephotographiée ou imprimée par lithographie ou gravure. Les multiples et grands formats étaient tirés à partir de négatifs au collodion humide, mais la technique se révélait plutôt coûteuse.

 

Réalisant le potentiel du marché pour les portraits, le photographe français André-Adolphe-Eugène Disdéri (1819−1889) cherche à produire un plus grand nombre de portraits à moindre coût. Il conçoit un appareil à quatre objectifs lui permettant de réaliser jusqu’à huit négatifs sur une même plaque. Il en tire une épreuve regroupant huit images rectangulaires de petit format. Ces dernières sont découpées séparément, puis collées sur du carton afin d’être vendues au client à un prix avantageux. En 1854, Disdéri brevète le format carte-de-visite (approx. 6 x 10 cm). La technique ne tarde pas à se répandre dans les studios de photo à travers le monde.

 
Four-lens camera, c. 1880

Appareil à quatre objectifs, v. 1880, bois, laiton, verre et cuir, 30 x 19 x 39,8 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

 

Différents appareils spéciaux furent développés dans la foulée de cette invention. Le nombre d’objectifs variait selon le modèle permettant de produire de quatre à huit images sur une plaque. Le photographe exposait les objectifs un à la fois ou tous au même moment. Certains appareils étaient munis d’un système mécanique permettant de déplacer la plaque pour exposer différentes zones. En résultait une seule image saisie à plusieurs reprises ou une variation de poses successives. Réalisée par Disdéri autour de 1860, l’épreuve Mme C. Howland comprend huit portraits avant l’étape de la découpe. Le sujet y est représenté dans différentes poses — de face, de profil, debout, assis, et avec un document dans les mains.

 

Les cartes-de-visite connurent leur apogée dans les années 1860, mais demeurèrent très populaires jusqu’au début du XXe siècle. Les gens en commandaient plusieurs exemplaires afin de les échanger avec leurs proches à l’occasion des jours de fête. Elles étaient rassemblées dans des albums photographiques et exposées dans les salons. Durant la guerre de Sécession aux États-Unis, elles servaient de photos souvenirs aux familles des soldats partis au champ de bataille.

 

Habile entrepreneur, Disdéri convainc Napoléon III de poser à son studio ce qui amène d’autres personnalités publiques à vouloir aussi faire réaliser leur carte-de-visite. Les gens commencèrent à collectionner les portraits-cartes de politiciens, d’auteurs, d’artistes, d’explorateurs et d’athlètes vendus dans les commerces de quartier. Certaines cartes de célébrités et de la royauté sont devenues de véritables objets de collection.

 
André-Adolphe-Eugène Disdéri, Portrait de femme avec jeune garçon, v. 1874-1877

André-Adolphe-Eugène Disdéri, Portrait de femme avec jeune garçon, v. 1874-1877, épreuve à l’albumine argentique, 8,5 x 5,2 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa. Photo : MBAC

André-Adolphe-Eugène Disdéri, Rosa Bonheur (1822-1899), v. 1875

André-Adolphe-Eugène Disdéri, Rosa Bonheur (1822-1899), v. 1875, épreuve à l’albumine argentique, 8,8 x 5,3 cm, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa, don de Karen Gabbett-Mulhallen, Toronto, 1974. Photo : MBAC

 

L’invention de la carte-de-visite a permis de rendre accessible la photo de portrait à la classe moyenne. Cela en a fait le premier objet de consommation de masse en photographie. Avec ses images tirées sur papier, puis découpées séparément, la carte-de-visite est précurseure du portrait instantané produit en cabine, couramment nommé le photomaton. Depuis l’installation des premières cabines en 1928, le photomaton a permis aux gens de tirer eux-mêmes leur portrait. Il suffisait de prendre place dans une cabine, de déclencher l’appareil avec une pièce de monnaie, puis d’attendre l’impression des images.

 

Des générations d’artistes, depuis les surréalistes jusqu’au pop art et à l’art conceptuel, ont investi ce dispositif pour jouer sur les codes du portrait, créer des séquences d’images, laisser place à l’expression automatique, ou interroger leur identité.

 

En 1974, l’artiste canadienne Barbara Astman a réalisé l’œuvre 32 Autoportraits où elle performait sa propre image dans l’intimité de la cabine photographique. De retour à l’atelier, elle a photocopié les bandes d’images sur une pellicule de plastique qu’elle a cousue à un canevas de manière à former une grille semblable à une planche contact. Elle a aussi ajouté de la couleur sur les portraits, ce qui rappelle certaines photos du XIXe siècle peintes à la main.

 

Ce portrait contemporain se trouve dans la collection du Musée des beaux-arts du Canada, tout comme le daguerréotype Mme C. Howland (v. 1860) de Disdéri.

 
Barbara Astman, 32 Autoportraits, 1974

Barbara Astman, 32 autoportraits, 1974, épreuve électrostatique avec application de couleur, imprimée sur plastique, cousue sur canevas, 40,4 x 60,7 cm, Collection MCPC, Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa © Barbara Astman, avec la permission de la Corkin Gallery, Toronto. Photo : MBAC

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